Chez nos confrères du Point, Ruben Rabinovitch, psychologue et psychanalyste, expert auprès de la fondation Jean Jaurès, revient sur la justice faible avec les forts et forte avec les faibles. Extraits :

Sa petite sœur, pour avoir demandé à deux adolescents de bien vouloir faire la queue comme tout le monde au supermarché, avait été rouée de coups jusqu’à perdre connaissance, faire une hémorragie crânienne et rester plusieurs jours dans le coma. Les deux adolescents étaient repartis débonnaires, ricanants et triomphants de ne pas s’être laissé manquer de respect par une femme. Ils avaient par la suite été arrêtés et inculpés pour coups et blessures. La différence entre coups et blessures et homicide n’avait pourtant été fonction que de la compétence des médecins.

Quand le procès se tint, la sœur, encore défigurée, vint raconter ce qui lui était arrivé. Au cours de l’audition, les deux adolescents retrouvèrent leurs ricanements et lui lancèrent en plein tribunal : « T’avais déjà une sale gueule de toute façon. » Chacun ressortit du tribunal comme il y était entré. Sans odorat, sans goût, le visage déformé et incapable de sortir de chez elle pour la petite sœur. Libres, pour les deux adolescents.

Le verdict n’avait pas été moins destructeur que les coups. Quelle différence pour la petite sœur comme pour sa famille que ces deux criminels aient été mineurs ou majeurs, primo-délinquants ou multirécidivistes ? « Je n’ai pas la haine. Je suis la haine. » Ne pas être consumé par la haine après un tel verdict aurait été l’indice d’une profonde et préoccupante tendance à l’autopunition. Dans certains cas, la haine peut être un signe de santé psychique, et l’indulgence celui d’une pathologie lourde. Dans certains cas, les pardonneurs ne pardonnent que dans la lâche illusion qu’ils n’auront ainsi plus à devoir se protéger de leur agresseur. Dans d’autres, ils le font par pur et simple dolorisme.

(…)

Ceux qui prennent les êtres cruels en pitié traitent avec cruauté ceux qui méritent la compassion. Une justice faible envers les barbares est une justice barbare envers les faibles. Une justice seulement inspirée par la pitié envers les coupables est une justice qui porte préjudice aux victimes. La justice ne peut être une justice de la réinsertion des coupables qu’après avoir été une justice de la réparation et de la protection des victimes.

La responsabilité est l’âge adulte de l’homme, envers soi-même comme envers les autres. Qu’une justice soit injuste envers les victimes est une chose grave, mais qu’une société tolère une justice injuste envers les victimes est une chose plus grave encore. Cela nous renseigne sur son cœur indifférent et hébété devant la souffrance des siens. Une société qui intègre le crime au cours ordinaire du monde n’est pas une société charitable, mais une société malade. Car il est des charités qui vont jusqu’à baiser les pieds des bourreaux.

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