Après être monté jusqu’à 16 % dans les sondages en février, Éric Zemmour y a enregistré une décrue qui le laisserait actuellement 4e, derrière Macron, Le Pen et Mélenchon, autour de 10 %. Le dernier sondage Elabe publié par Les Échos leur accorde respectivement : 28, 21 et 15,5 % tous en hausse. Éric Zemmour serait distancé, malgré un +0,5, mais devant Pécresse à 9,5 %.

Mais une petite musique circule sur les plateaux TV, et pas uniquement alimentée par les partisans du candidat de Reconquête! : celle du « vote caché » en faveur d’Éric Zemmour, un vote difficile à appréhender pour un candidat, un parti et un électorat nouveaux. Et les articles se multiplient pour insister sur la « forte volatilité » de l’électorat, comme dans Les Échos ce vendredi où le président de cet institut Elabe lui-même, Bernard Sananès, prévient : « les mouvements sont plus forts qu’il y a cinq ans, avec plus de hauts et de bas ».

Ce sera peut-être l’excuse que se donneront les instituts de sondage si jamais le résultat du 10 avril n’était pas celui qui nous est actuellement servi.

Toutefois, il y a des raisons objectives qui poussent à penser que le score de Zemmour sera certainement plus élevé, et celui des deux leaders actuellement surévalué.

Macron et Le Pen surévalués, mais une forte volatilité

On voit mal en effet comment Emmanuel Macron pourrait obtenir 28 % soit plus de 10 millions des voix. L’effet drapeau s’essouffle déjà et les Français mesurent surtout, très concrètement, l’impuissance française et européenne, et surtout le retour de l’inflation. Par ailleurs, la sortie ravageuse pour son image des affaires MacKinsey et de son patrimoine sous-évalué n’a pas encore produit tout son effet dans les sondages pour Emmanuel Macron.

Pour Marine Le Pen, on sait que les sondages ont systématiquement surévalué son score, en 2012 comme en 2017, et de plusieurs points. Par ailleurs, il paraît très étonnant qu’elle parvienne à refaire son score d’il y a cinq ans (21%) alors qu’elle est cette année rudement concurrencée, sur son propre terrain, chez ses cadres et dans son électorat, par un candidat qui a connu une vraie dynamique. On ne voit pas bien où elle aurait pu élargir son audience vu le peu de surprises de sa campagne en terme de ralliements et de propositions.

Si les scores annoncés de Macron et Le Pen interpellent, le rapport entre ceux de Zemmour et de Le Pen laisse tout aussi songeur : du simple au double, de 10 à 20 %. Ce n’est pas un hasard si les sondeurs insistent sur la volatilité de l’électorat Le Pen :

« Selon une enquête Ipsos pour le Cevipof, la Fondation Jean-Jaurès et Le Monde, le tiers des électeurs n’est pas certain d’aller voter et sur les deux tiers restants, 37 % disent pouvoir changer d’avis. (…) Sur 100 électeurs de Marine Le Pen qui disent pouvoir changer d’avis, 37 choisiraient en deuxième choix Éric Zemmour, 16 Valérie Pécresse , 14 Emmanuel Macron et 10 Jean-Luc Mélenchon. »

10 % pour Zemmour ? Mathématiquement impossible

En partant du score de 10 % attribué à Zemmour et en raisonnant par l’absurde, on peut démontrer, à partir de données fournies sur la structuration de son électorat par d’autres enquêtes, que ce 10 % n’est pas réaliste, et nettement sous-évalué.

D’abord, par son positionnement radical sur les questions d’immigration et sa stratégie assumée d’union des droites, Eric Zemmour a mordu sur les électorats Fillon (un tiers), Le Pen (entre un quart et un tiers) et bien sûr celui de Nicolas Dupont-Aignan (les deux tiers) d’il y a cinq ans. Une récente enquête, publié par Les Échos le 29 mars, confirme la réussite de cette stratégie.

« Éric Zemmour est en passe de réaliser une « performance rarement réalisée à ce jour », notent les auteurs de l’étude. Parmi ses soutiens figurent en effet des anciens électeurs de Marine Le Pen et de François Fillon, donnant du crédit à son projet d’union des droites. »

Si l’on retient donc ce calcul, on arrive à environ 2-2,2 millions de voix fillonistes, 2-2,2 millions de voix Le Pen et 1-1,2 millions de voix NDA. L’effondrement de Pécresse et la marginalisation de NDA ne peuvent qu’accentuer ce siphonnage de leurs voix par Zemmour. Et cela fait un total de 5-5,8 millions de voix pour Zemmour. Et cela sans tenir compte de la mobilisation d’abstentionnistes que ce candidat nouveau, hors système et au franc-parler assumé peut déclencher et que l’on peut estimer -modestement- à 200 000 voix. Donc, avec 5-6 millions de voix, Zemmour ne peut être à 10 %, mais entre 14,4 % et 16,6 %, s’il y a 25 % d’abstention comme en 2017. Et, avec une abstention de 30 %, mais l’hypothèse que son électorat est plus déterminé à aller voter, son score s’établirait entre 15,75 et 18,18 % des voix. De quoi lui ouvrir la porte du second tour. S’il n’obtenait que 10 %, soit de 3,3 à 3,6 millions de voix cela signifierait qu’il n’aurait capté que des proportions très faibles de ces électorats (moins de 20%): on ne voit pas bien ce qui, dans les campagnes de Pécresse, Dupont-Aignan ou Le Pen aurait pu les retenir…

Mais si on adopte d’ autres angles d’analyse de l’électorat Zemmour, on est conduit au même scepticisme sur ces 10 %.

Bien plus homogène que Marine Le Pen en termes de CSP et de géographie

En termes de CSP, l’étude citée plus haut confirme qu’«Éric Zemmour se démarque à droite par la diversité de son électorat. En effet, les intentions de vote en sa faveur sont à peu près égales chez les CSP + (12 %), les professions intermédiaires (11 %) et les CSP- (13 %). Un électorat « sociologiquement assez homogène », aussi appelé « interclassiste », alors que celui de ses concurrentes est plus fragmenté. » Si Zemmour dispose de bases solides sur l’ensemble de l’électorat, il suffit d’un ou deux points de plus pour produire un effet démultiplicateur.

Mais, en termes de géographie électorale aussi, Zemmour dispose d’une homogénéité forte. Certes, la même étude confirme qu’ « en Languedoc-Roussillon (19 %), ou en Paca (17 %), ses scores seraient par exemple largement supérieurs à sa moyenne nationale, estimée à 12,5 %. Deux régions où « les questions d’immigration et d’insécurité reviennent de manière plus lancinante », et où le souvenir de la guerre d’Algérie est également plus prégnant. » Mais dire cela, c’est constater que ces bastions manqueront à Marine le Pen. Par ailleurs, la géographie Zemmour n’est pas limitée à un arc sudiste : comme le remarque Yann Duvert dans Les Échos, «Au contraire de Marine Le Pen, qui gagne en popularité à mesure que la densité de population décroît, l’électorat potentiel du candidat de Reconquête semble réparti sur le territoire de manière similaire. À Paris comme en régions, dans les grandes villes comme dans les communes rurales, les intentions de vote en sa faveur connaissent en effet peu de variations. »

Certes, l’irruption inattendue d’Éric Zemmour a pu déconcerter les sondeurs, mais il y a des phénomènes de fond objectifs, mesurés par d’autres enquêtes, qui montrent qu’il devrait nettement dépasser les 10 % le 10 avril. Si tel était le cas, ce serait cela ne pourrait qu’accroître la méfiance des Français pour le monde politique actuel et nourrir les soupçons de manipulation ou d’élection volée.

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