Brandt liquidé : le cercueil de l’industrie française se referme encore un peu plus

Photo : Tina Bosse

La nouvelle est tombée presque comme une formalité administrative : Brandt est liquidé. Le dernier fabricant français de gros électroménager disparaît, emportant avec lui sept cents emplois et un savoir-faire centenaire. L’annonce provoque l’émoi des responsables politiques, qui découvrent soudain l’existence de cette entreprise qu’ils n’ont pas su – ou voulu – défendre.

Les déclarations s’enchaînent, saturées de formules compassionnelles. On parle de « traumatisme », de « choc », de « déchirement ». Les ministres convoquent la rhétorique habituelle : « fleuron », « savoir-faire », « mobilisation ». Les mêmes mots surgissent après chaque fermeture d’usine, comme un rituel funéraire qui ne change jamais, quelle que soit la victime. Le problème, c’est qu’à force d’enterrer nos industries, il ne reste plus grand-chose à enterrer.


Le théâtre de l’impuissance politique

Il y avait bien un projet de Scop, présenté comme le dernier souffle possible. On avait promis des aides, des déblocages de fonds, des accompagnements. On saluait la combativité des salariés. Derrière ces encouragements officiels se cachait pourtant une vérité, presque indécente : ceux qui prétendaient sauver l’entreprise savaient déjà qu’elle ne tiendrait pas. Une Scop sans marché, sans outil de production modernisé, sans politique industrielle cohérente derrière elle, n’a guère plus de chances qu’un canot troué sur une mer agitée.

Les juges ont tranché : liquidation. On pourrait presque leur reprocher d’avoir dit tout haut ce que les dirigeants publics pensaient tout bas.

Un pays qui ne produit plus ce qu’il consomme

Il fut un temps où acheter un appareil marqué « Brandt » signifiait soutenir une industrie familière, implantée, fière d’elle-même. Aujourd’hui, nos machines à laver viennent d’Asie, nos fours du bout du monde, et notre pays se félicite d’avoir inventé… le « verdissement » des étiquettes énergétiques.

On ne remonte pas une industrie avec des slogans. On ne protège pas un secteur en exigeant toujours plus de normes, toujours plus de taxes, tout en laissant les frontières économiques ouvertes à des produits importés à bas coût, souvent subventionnés ailleurs, toujours hors de portée des exigences qu’on impose à nos propres usines.

L’effacement du réel

Brandt n’a pas seulement été liquidé. C’est une part de la France qui s’efface, dans un silence gêné. Les salariés, eux, ne parlent pas de transition écologique ni de résilience territoriale : ils parlent d’hypothèques, d’enfants à nourrir, d’années d’expérience devenues soudain inutiles sur un marché du travail où l’on préfère des profils formatés aux besoins du moment plutôt que des ouvriers spécialisés qui savent encore fabriquer quelque chose de leurs mains.

S’ils avaient été footballeurs professionnels ou influenceurs en difficulté, une cellule de crise leur aurait été dédiée en moins de deux heures. Là, rien. Quelques promesses d’accompagnement et une page vite tournée.

Le vrai scandale

La disparition du dernier fabricant français de gros électroménager révèle ce que beaucoup refusent de regarder en face : la France ne maîtrise plus sa production, et donc plus sa souveraineté économique. Comment peut-on prétendre réindustrialiser un pays quand on laisse mourir jusqu’à la dernière survivante d’un secteur entier ?

On s’en remet à la bonne volonté d’États étrangers pour nous vendre, au rythme qui leur convient, ce que nous ne faisons plus. Et l’on s’étonne ensuite de la fragilité de notre économie, de la dépendance croissante aux importations, du déficit commercial abyssal.

La liquidation de Brandt n’est pas une anecdote. C’est un symbole. Le symbole d’un pays qui renonce, étape après étape, au droit élémentaire de produire ce qu’il consomme.

Et le plus tragique, dans cette affaire, n’est pas ce que l’on enterre aujourd’hui.
C’est que personne, dans les cercles dirigeants, ne semble vraiment décidé à empêcher les prochaines funérailles.

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