La Chambre basse du Parlement algérien a voté, à l’unanimité, une loi visant à criminaliser la colonisation française. Une loi de plus, pourrait-on dire, dans une longue série de textes, de déclarations et de mises en scène mémorielles destinées moins à éclairer l’histoire qu’à entretenir une hostilité politique devenue structurelle.
Derrière les mots lourds – « crimes d’État », « crimes imprescriptibles », « torture généralisée », « haute trahison des harkis » – se dessine une stratégie désormais bien rodée : transformer le passé en instrument juridique, diplomatique et idéologique.
Une histoire figée, sanctuarisée par la loi
Le texte adopté dresse une liste de « crimes coloniaux » suffisamment large pour englober toute présence française en Algérie entre 1830 et 1962. Il ne s’agit plus d’un travail historique, ouvert, contradictoire, mais d’un récit officiel figé, rendu intouchable par la loi.
Ce procédé n’a rien d’original. Il rappelle, à l’envers, les lois mémorielles occidentales tant dénoncées par ailleurs : même tentation de verrouiller le débat, même refus de la complexité, même confusion entre histoire et morale politique. À ceci près que, cette fois, la loi vise explicitement un autre État, sommé de reconnaître sa « responsabilité juridique » et de présenter des excuses officielles.
La mémoire comme levier diplomatique
Cette loi n’est pas un geste symbolique isolé. Elle s’inscrit dans un contexte de tensions persistantes entre Paris et Alger, où chaque crise diplomatique, chaque désaccord, chaque déclaration française jugée insuffisamment repentante relance la machine mémorielle.
L’objectif est limpide : créer un rapport de force permanent, placer la France en position de faute morale éternelle, et disposer d’un levier commode pour détourner l’attention des difficultés internes. Chômage massif, libertés publiques étouffées, économie sous perfusion : autant de sujets éclipsés par la mise en accusation rituelle de l’ancienne puissance coloniale.
Les harkis, éternels boucs émissaires
Le passage qualifiant la « collaboration des harkis » de « haute trahison » révèle la brutalité idéologique du texte. Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, ces hommes et leurs descendants restent désignés comme des traîtres officiels, sans nuance, sans contextualisation, sans la moindre humanité.
Cette obsession en dit long sur l’incapacité du régime algérien à apaiser sa propre mémoire nationale. Là où l’histoire devrait réconcilier, le pouvoir préfère entretenir les fractures, quitte à perpétuer l’injustice morale.
La France face à sa propre faiblesse
À Paris, la réaction se limite à la perplexité. Depuis des années, la France multiplie gestes, reconnaissances, commissions, rapports et repentances partielles, sans jamais obtenir l’apaisement promis. Chaque concession nourrit au contraire une nouvelle exigence.
Cette loi algérienne agit comme un révélateur : la repentance unilatérale ne produit ni réconciliation ni respect. Elle alimente une surenchère sans fin, où l’histoire devient une monnaie politique et la culpabilité un outil de domination symbolique.
En voulant juger le passé par la loi, l’Algérie ne fait pas œuvre de justice. Elle enferme son propre récit national dans un dogme, tout en rappelant à la France qu’aucune concession mémorielle ne suffira jamais à satisfaire ceux qui vivent de la rancœur institutionnalisée.