Il y a des carrières qui semblent tout droit sorties d’un récit d’auto-satisfaction maladive. Thierry Breton, l’ancien commissaire européen chargé de « réguler » la tech, entre incontestablement dans cette catégorie. Voilà un homme qui, après avoir imposé à coups de directives et de normes une vision très personnelle d’internet, se retrouve tout simplement interdit de visa par les États-Unis. Un comble lorsque l’on se croit incarnation même de la défense des valeurs européennes.
Le départ de Breton à la Commission européenne avait été présenté comme celui d’un stratège visionnaire, prêt à « tenir tête » aux géants de la Silicon Valley et à imposer la loi du Vieux Continent. On sait aujourd’hui que cette prétendue « vision » ressemble surtout à une succession d’actes de provocation qui ont fini par susciter… de la consternation.
Washington, lassé des leçons de morale venues de Bruxelles, a donc décidé de réagir en interdisant l’accès du territoire à ce champion auto-proclamé de la régulation. Une décision qu’on aurait pu qualifier de diplomatiquement sévère si elle n’était pas, en réalité, l’écho logique d’une politique européenne qui confond immixtion et leadership.
Que reproche-t-on exactement à M. Breton ? D’avoir voulu forcer des plateformes américaines à faire la police de l’expression sur internet, au point d’invoquer le terme de « censure » lorsqu’elles ne répondaient pas à ses desiderata technocratiques. Une posture qui frise le ridicule lorsqu’elle est assénée avec l’arrogance qui caractérise si bien certains mandarins de Bruxelles.
On aurait pu penser que la gravité d’un tel bannissement inciterait nos élites à la modestie. Il n’en est rien. Dès les premières réactions, on a vu Paris dénoncer « avec la plus grande fermeté » ce geste supposément inamical. Comme si être éconduit des États-Unis relevait d’une atteinte à la dignité nationale. Permettez-moi de douter : il s’agit plutôt d’un rappel que l’Europe ne peut pas imposer ses vues à l’ensemble du monde numérique sans susciter des ripostes.
Monsieur Breton, dont les ambitions semblent sans limites, a cru possible de faire de l’Union européenne une sorte de gendarme planétaire du web. Sauf que lorsqu’on administre des milliards d’utilisateurs, on se heurte vite à la réalité du terrain. Et cette réalité vient de dire « non » en fermant la porte à l’un de nos régulateurs les plus zélés.
Ce qui est particulièrement savoureux dans cette affaire, c’est que ce bannissement touche aussi des dirigeants d’ONG européennes œuvrant contre la désinformation. On croyait les défenseurs de la « vérité » au-dessus des querelles politiques. Visiblement, lorsqu’ils deviennent trop bruyants et trop moralisateurs, ils deviennent… encombrants aux yeux de Washington.
En fin de compte, cette histoire rappelle que la grande ambition de réguler l’univers numérique ne doit pas être confondue avec une idéologie de domination. S’arroger le rôle d’arbitre mondial sans dialogue véritable ni respect des sensibilités externes mène immanquablement à des déconvenues. Thierry Breton vient d’en faire l’expérience. Peut-être est-il temps de repenser la stratégie européenne dans son ensemble, plutôt que de multiplier les postures théoriques.
Après tout, il existe une différence — importante — entre vouloir protéger l’espace numérique européen et vouloir régler la planète entière à coups de directives et de sanctions symboliques. Une leçon que, visiblement, certains doivent encore apprendre.