Propriété intellectuelle : RIP. L’Amérique a tout scanné

Photo : Clarisse Meyer

Les auteurs peuvent ranger leurs plumes et pleurer sur leurs droits. L’Amérique, dans un élan de générosité algorithmique, vient de décréter que leurs livres – oui, leurs livres – peuvent désormais servir de pâtée à l’intelligence artificielle. Sans autorisation. Sans rémunération. Sans scrupule. Merci qui ? Merci la “Fair Use Doctrine”, cette divine trouvaille juridique qui permet aux géants de la tech de piller la culture avec l’approbation de la justice.

Un juge de San Francisco – ville des startups et de la morale liquide – vient donc de bénir les pratiques d’Anthropic, la cousine germano-américaine d’OpenAI, cette maison mère du désormais célèbre ChatGPT. Selon lui, nourrir un modèle IA avec des livres, qu’ils soient achetés ou carrément piratés, relève de « l’usage raisonnable ». Oui, raisonnable. Comme si votre voisin vous cambriolait pour écouter vos disques sous prétexte qu’il veut devenir DJ. Très raisonnable.


Car l’IA, voyez-vous, apprend. Elle “lit”. Elle assimile. Elle “comprend”. Un peu comme un étudiant en lettres – sauf qu’elle ne cite pas ses sources, ne paie aucun abonnement à la bibliothèque, et surtout, ne verse pas un centime aux auteurs.

Et tant pis pour ces écrivains un peu vieux jeu qui pensent encore qu’un livre appartient à celui qui l’écrit. En 2025, il appartient d’abord à l’innovation. Et puis, rappelez-vous, Claude – c’est le nom du robot lecteur – est une technologie « parmi les plus révolutionnaires que beaucoup d’entre nous verront dans leur vie », dixit le juge. Difficile, face à tant de prophétie, de s’attacher à des détails aussi triviaux que la propriété intellectuelle.

Le juge a toutefois cru bon d’ajouter qu’Anthropic ne pouvait pas non plus télécharger toute la littérature mondiale pour en faire un buffet à volonté. Nuance. Il a donc dessiné une ligne rouge très subtile : voler des livres pour les faire lire à une IA, c’est “innovant” ; mais en garder une copie, ça devient limite.

Alors bien sûr, tout cela n’est qu’une décision préliminaire. Un procès suivra. Des avocats plaideront. Des jurés bâilleront. Et peut-être qu’un jour, une jurisprudence rétablira les écrivains dans leur droit. Mais d’ici là, les modèles IA auront avalé des millions de pages, les investisseurs auront multiplié leur mise, et les grands libraires auront laissé place aux grands serveurs.

La révolution numérique ? Une noble idée. Mais quand elle se nourrit de pillage culturel sous couvert de progrès, elle n’est plus qu’une opération de prédation brillante, raffinée, et tout à fait légale.

Bienvenue dans le monde d’après. Celui où l’on numérise vos œuvres… pour mieux les faire oublier.

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