L’Algérie s’apprête à franchir un nouveau seuil dans l’exploitation politique de la mémoire coloniale. En débattant d’une loi criminalisant la colonisation française, Alger ne se contente plus de dénoncer le passé : elle entend désormais le juger, le sanctionner et en tirer des contreparties diplomatiques et financières.
Le message est clair. Tant que la France n’aura pas reconnu un prétendu « crime d’État », aucun accord ne sera conclu. La mémoire devient condition préalable à toute relation bilatérale. L’Histoire, elle, se transforme en instrument de pression.
Une loi qui dépasse le symbole
Présentée comme un texte fondateur, la proposition algérienne ne se limite pas à une condamnation morale. Elle vise à qualifier juridiquement la colonisation de crime imprescriptible, ouvrant la voie à des exigences d’excuses officielles, de réparations et de dédommagements. En parallèle, elle prévoit des sanctions contre toute remise en cause du récit officiel, y compris à l’intérieur même de l’Algérie.
Autrement dit, le passé n’est plus seulement interprété : il est verrouillé. Toute lecture divergente devient suspecte, toute nuance assimilée à une faute.
La conséquence directe du discours français
Difficile, pourtant, de feindre la surprise. Depuis plusieurs années, la France a ouvert elle-même cette brèche. En qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité », Emmanuel Macron a offert à Alger ce qu’elle réclamait depuis longtemps : une reconnaissance sans contrepartie, un aveu sans limite clairement définie.
La logique était prévisible. Après les mots viennent les actes. Après les excuses, les demandes. Après la repentance morale, la pression politique. Une fois la culpabilité admise, pourquoi s’arrêter en chemin ?
L’Histoire transformée en tribunal
Ce texte illustre une dérive bien connue : celle des lois mémorielles érigées en vérité officielle. L’Algérie entend figer une lecture unique de son passé, criminaliser toute approche historique non conforme et délégitimer ceux qui rappellent que l’Algérie, avant 1830, n’était ni un État-nation souverain ni une entité politique unifiée.
En légiférant sur l’Histoire, Alger ne cherche pas à comprendre le passé, mais à le discipliner. La mémoire devient un outil de cohésion interne, un écran commode pour masquer les fractures actuelles, les tensions régionales et les contestations politiques.
Une France sommée de comparaître
Cette loi place la France dans une position inconfortable mais largement auto-infligée. À force de se juger elle-même, elle a accepté le principe d’un procès permanent. Or, un procès n’a jamais de fin tant que l’accusé continue de plaider coupable.
Le risque est désormais évident : voir s’installer une relation asymétrique, fondée non sur l’intérêt mutuel, mais sur la faute supposée de l’un et l’exigence permanente de l’autre.
Jusqu’où céder ?
La question n’est plus historique, elle est politique. Jusqu’où la France acceptera-t-elle d’endosser une culpabilité sans bornes ? Jusqu’où laissera-t-elle un État étranger conditionner les relations diplomatiques à une lecture idéologique du passé ?
L’Histoire mérite d’être étudiée, expliquée, débattue. Elle ne mérite ni les tribunaux symboliques ni les lois punitives. À force de confondre mémoire et justice, on finit par instrumentaliser l’une et dévoyer l’autre.
Et surtout, par nourrir une spirale dont personne ne sort jamais apaisé.