Amaury Brelet a publié sur Twitter les explications recueillies auprès d’un procureur. Extraits :

La justice ne doit pas prendre en compte la capacité à écrouer. Aujourd’hui, si un mec doit aller en prison, ça n’est pas parce que c’est surpeuplé qu’on ne va pas l’écrouer, ça n’est pas un critère et heureusement. Trop de monde ou pas, s’il faut prononcer un mandat de dépôt, on le prononce, ensuite la pénitentiaire se débrouille.

Ce qui ne veut pas dire que la justice ne prenne pas en compte, en pratique, la réalité du monde carcéral. Les parquets font attention à leur jauge, au nombre de personnes en détention. Quand vous savez que des détenus dorment sur des matelas, on ne peut pas faire semblant de l’ignorer. Pour les courtes peines, c’est une vraie question, on est toujours sur le fil du rasoir.

Pour vider les prisons, la loi de programmation pour la justice de 2019 vise à éviter les courtes peines d’emprisonnement (les peines de prison inférieures ou égales à un mois ferme sont interdites) et à renforcer les peines alternatives et les aménagements de peine ab initio.

Aujourd’hui, le tribunal correctionnel vous dit : ‘Je vous condamne à 6 mois d’emprisonnement aménagé sous forme du bracelet électronique.’ C’est merveilleux. On vous dit directement au tribunal : ‘C’est bracelet électronique.’ C’est nul.

C’est schizophrénique. D’un côté, on dit au parquet ‘sévissez’, ‘condamnez’, et de l’autre, ‘aménagez’, ‘libérez’. C’est une politique d’affichage. On fait finalement porter le poids sur le juge de l’application des peines (JAP) et le parquet. Et derrière on détricote. C’est une politique d’affichage. Ok si c’est fait avec discernement et pas pour tout, sauf qu’aujourd’hui c’est une injonction. La loi, c’est d’éviter à tout prix l’incarcération qui doit être la dernière solution possible. Des mecs ont 25 mentions au casier et on aménage !

Ou alors vous avez un mec condamné à un an, il fait 4 mois, il fait une requête en aménagement, comme ça il est sûr qu’à mi-peine, il lève la main, il dit : ‘J’ai une femme, j’ai des enfants, je veux un bracelet électronique.’ Et on va le faire sortir.

Pire, le législateur nous a mis le couteau sous la gorge : la loi nous oblige à étudier le cas de tous les condamnés aux 2/3 de leur peine même s’ils n’ont rien demandé ! On va chercher les mecs dans l’aménagement. Ça s’appelle la libération sous contrainte et c’est une hérésie.

Au tribunal, on dit un an d’emprisonnement, la victime est contente, la société est rassurée, la justice est passée, mais quand on arrive au stade de l’exécution, et qu’on a le pauvre type qui s’est pris un an et qu’on a fait croire à la victime et à la société que la peine ferme est passée, on est décrédibilisé au maximum parce qu’on a bidouillé.

On a des mecs qui prennent 6 mois ferme et à la fin ça se solde en 90 jours amende à 10 euros.

On est là dans la logique de vider les prisons, dans une logique de gestion de la population carcérale, et la libération sous contrainte en est l’exemple le plus symptomatique et scandaleux.

Ensuite, au stade de l’application de la peine : il y a le choix de l’aménagement, parce que c’est le détenu qui choisit. Et parfois, ça n’a ni queue ni tête : le mec est surendetté et veut des jours amende. C’est fou. On est en otage, il faut aménager plutôt que d’envoyer en prison parce que le législateur nous dit qu’à ce stade il faut aménager à tout prix, donc on aménage à tout prix.

La justice est devenue une assistante sociale, les gens n’ont que des droits, ça devient n’importe quoi.

Le droit pénal français est positiviste, basé sur le principe de responsabilité. Et la responsabilité de la réinsertion n’incombe pas à la société, mais au condamné. Au stade de l’aménagement et de l’exécution de la peine, on déresponsabilise le condamné parce qu’on insuffle des doses de considération de politiques publiques qui à long terme sont vouées à l’échec.

Les lois successives de la gestion de la population carcérale ne fabriquent pas de la prévention de la récidive : on déresponsabilise et on créé un sentiment d’impunité.

Il y a un véritable hiatus entre la peine prononcée et la peine finalement exécutée. Et les gens ne comprennent pas ce hiatus : un mec prend dix ans et sort au bout de cinq. Mais l’injonction nous est donnée dès le départ. Si on veut prévenir la récidive il faut arrêter les injonctions législatives parce que la réinsertion ne se commande pas. La responsabilité de la réinsertion doit incomber au condamné. Si ça ne vient pas du condamné le projet est voué à l’échec et c’est une mascarade. Il y a 20% d’écrous en plus si on ne nous donne pas comme injonction d’éviter l’incarcération, on aurait au moins 20% de gens incarcérés en plus.

Il faut remettre les choses à leur place, donc assumer pendant 10 ans plus de places en prison. Parce que toute loi de virage met du temps à s’ancrer dans l’esprit des délinquants mais le jour où ils auront compris que la prochaine fois c’est la prison, il faut que ce soit la prison, c’est la peine pédagogique pour le gamin de deux ans, sauf qu’aujourd’hui la peine de prison c’est un bracelet électronique à la cheville. Ça ne marche pas.

Le bracelet est ce que c’est la panacée? Revenons au principe de réalité. La prison à la maison c’est affreux. 22h/24 si sans emploi. Il y a des incidents, des problèmes techniques, une surcharge de travail pour les magistrats (JAP, parquet) et les surveillants en milieu ouvert.

Quand vous êtes sous sursis avec mise l’épreuve, vous voyez votre CPIP une fois tous les 3 mois et on vous dit que vous êtes suivi par la justice, mon œil. On n’a pas mis les moyens.

Le bracelet, le temps de le poser, il faut au moins 4 à 6 mois selon les juridictions.

On parle de gens condamnés, population bas seuils, mouvante, précaire. L’enfermement à la maison c’est quoi ? Bobonne et 4 mouflets, ça gueule toute la journée, parce que c’est ça la population condamnée au bracelet, des gens instables qui ne supportent pas la frustration. C’est le mec qui à 21h pète un câble, n’a pas de clopes, va au bureau de tabac, et ça sonne, c’est l’incident.

La conversion jours amende, c’est aussi merveilleux. Vous êtes condamné à 6 mois de prison par le tribunal correctionnel, ça fait 30 jours fois 6, donc 180 jours amende à 4 euros. Vous, vous êtes riche, vous êtes un délinquant de la route, vous êtes ingénieur, donc vous pouvez payer. Vous, vous êtes pauvre, vous ne pouvez pas payer. Ah bon, alors on va vous mettre 120 jours amende à 2 euros. Ça n’a plus de sens.

Ou alors vous êtes condamné à 6 mois, en échange vous allez faire 240 heures de travail d’intérêt général (TIG) et si vous ne les faites pas et bien on va aménager les 6 mois ferme, une conversion, du bracelet ? On en est là, on dit au mec, vous êtes condamné à 6 mois devant le tribunal correctionnel, vous allez devant le JAP qui convertit, c’est 240 heures de TIG sinon vous faites 6 mois, vous ne faites pas vos 240 heures, alors on vous met 6 mois, puis vous pouvez faire du bracelet. Et si vraiment le bracelet ne marche pas, vous allez en prison. Résultat : on exécute deux ans après.

C’est une histoire sans fin. Ça ne fait peur à personne. C’est ridicule et épuisant.

Ça aussi c’est extraordinaire. Ça n’est pas rare, c’est tout le temps. Le mec sous bracelet a le droit de sortir de 8h à 18h et puis il envoie un courrier pour demander à aller voir ses parents âgés un weekend, à plusieurs centaines de km : ordonnance et permission de sortie. Mieux, le mec a le bracelet depuis 3 mois, il doit l’avoir pendant 9 mois, il veut aller au camping avec ses enfants durant l’été pendant 15 jours : hop, permission de sortie ! Au lieu d’un an à la maison d’arrêt, le mec si tout se passe bien fait 4 mois de bracelet à la maison et puis est en libération conditionnelle, c’est beau. Mais sinon ça fait peur. C’est n’importe quoi. C’est une politique d’affichage au tribunal correctionnel.

Aujourd’hui, si vous faites de la prison ferme, c’est vraiment que vous avez fait le con dans la vie, que vous êtes un multi récidiviste pour lequel la justice a déjà tenté du TIG, du sursis, des jours amende, etc.

Si vous prenez un an, que vous vous comportez bien et que vous faites tout bien comme il faut, vous pouvez sortir au bout de 3,5 mois en libération conditionnelle. Comment voulez-vous que les mecs vous prennent au sérieux ?

La justice n’est pas laxiste, les magistrats appliquent la loi. C’est très subjectif d’appliquer la loi. Il y a des juridictions et des magistrats plus ou moins sévères. Mais dire que la justice est laxiste, c’est faux. La règle, c’est d’éviter l’incarcération. L’incarcération est la dernière solution possible. Le magistrat est donc toujours en train de se demander ce qu’il peut faire pour éviter l’incarcération, parce que la loi lui dit de le faire. Il y a bien sûr des magistrats militants qui font de l’idéologie et de la politique mais ils sont marginaux.

Mais laxiste par rapport à quoi ? Est-ce que la société dormirait mieux en sachant qu’un primo-délinquant cambrioleur va prendre 3 ans de prison ?

Les gens jugent sur la gravité des faits. Mais la justice juge sur la gravité ET sur la personnalité. Juger c’est comprendre. Comment comprendre le crime sans apprécier la personnalité ? C’est quelque chose que beaucoup de gens ne savent pas ou ne comprennent pas.

Aujourd’hui, on est dans un nombrilisme dans l’appréciation du sentiment d’insécurité parce que c’est devenu une question politique. Résultat : on a tendance à revenir à une société de la vengeance primaire, individuelle, clanique. On a donné tellement de poids à la victime dans le procès pénal qu’on est en train de déséquilibrer les choses. Le procureur de la République ne représente pas la victime à l’audience, il représente la société. Le problème, c’est que les gens oublient de plus en plus que dans le contrat social, c’était la société la première victime. Depuis une vingtaine d’années, on a remis les victimes au centre du procès pénal et fait basculer le système : les gens se sentent la seule victime du procès pénal alors que le procès pénal c’est le procès pour la société.

Sauf qu’en parallèle toutes les valeurs s’effondrent (la famille, l’école, etc.) dans un individualisme exacerbé, les gens viennent sur des débats autocentrés, donc passionnés.

Or, dès lors qu’il y a de l’affect, du ressentiment, de la vengeance, on n’est pas juste. En remettant les victimes au centre du procès pénal, on a repassionné la justice.

La justice française a connu une américanisation assez hallucinante de ses procédures ces dernières années, on a repassionné la justice, je sais que c’est difficilement audible dans l’opinion.

Aujourd’hui, la peine encourue réellement n’est plus un élément dissuasif et préventif. Pour moi, tout est question d’éducation des peuples.

Il faut rappeler que dans les cours d’assises ceux qui minimisent les faits et baissent les peines sont les jurés parce qu’ils se rendent compte que juger c’est juger les faits ET un être humain. Ce sont les jurés populaires qui descendent les peines, les magistrats sont plus durs.

La prison est à l’image de la société, c’est tout le mal de la société que l’on peut observer entre quatre murs avec un zoom. Mais ceux qui s’opposent à la prison parce que les conditions de vie y sont indignes prennent le problème à l’envers. Pourquoi la prison serait mal ? C’est la moins pire des solutions, la seule qui permette de concilier les intérêts de la société, de la victime et du condamné.

Print Friendly, PDF & Email