Le député de l’Essonne Antoine Léaument a trouvé une idée lumineuse pour considérablement améliorer la vie des électeurs de son département : changer le nom d’un square parisien ! Vous n’y croyez pas ? Lisez plutôt :

Paris, le 20 juin 2023,

Madame la maire de Paris,

Il y a 232 ans jour pour jour, le 20 juin 1791, le roi Louis XVI quittait Paris en secret. Son but était de se rendre à l’étranger pour achever une conspiration contre la France déjà commencée avec les monarchies européennes : engager une guerre contre son propre pays pour rétablir, par la force des armes, la monarchie absolue que la Révolution de 1789 avait mise à terre. Arrêté à Varennes par l’action du patriote Jean-Baptiste Drouet, Louis XVI était ensuite ramené à Paris et accueilli par un silence glacial.

Juste après cette arrestation, la Révolution entre dans un moment charnière. La trahison est évidente et certains veulent non seulement juger le roi mais aussi proclamer la République; d’autres veulent au contraire le protéger en prétendant qu’il a été enlevé. Ce sont ces derniers qui l’emporteront dans un premier temps. Et alors que les vrais patriotes portent pacifiquement des pétitions pour la République au Champ-de-Mars, les partisans du roi entrent dans une répression brutale et violente dirigée par La Fayette. Le drapeau rouge de la loi martiale est brandi, – le fameux « étendard sanglant de la tyrannie » conspué par La Marseillaise – on tire dans la foule de pétitionnaires républicains pacifiques : c’est la fusillade du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791 qui fait plusieurs dizaines de morts.

Pendant une année entière, la Révolution est comme suspendue. Tout le monde sait que le roi a trahi son pays, mais ceux qui gouvernent avec lui font comme s’il était encore légitime. Il faudra attendre la journée révolutionnaire du 10 août 1792, la victoire de Valmy du 20 septembre 1792 et la proclamation de la République le lendemain pour que les conditions d’un procès de Louis Capet soient enfin réunies. Il se tient du 10 au 26 décembre 1792. Louis Capet est jugé « coupable de conspiration contre la liberté publique et d’attentats contre la sûreté générale de l’État » par une écrasante majorité de députés de la Convention (642 sur 718 présents, les autres ne répondant pas, s’abstenant, ou faisant des déclarations diverses). Il est ensuite, comme chacun sait, condamné à la peine capitale (là encore par une large majorité de députés et non à une voix près comme le laisse croire une tenace légende monarchiste).

Madame la maire de Paris, Louis Capet ayant été déchu de ses fonctions et jugé traître à la patrie, je m’étonne qu’un square puisse porter son nom en plein Paris dans le 8e arrondissement. Ce « Square Louis XVI », qui rend hommage à un « conspirateur contre la liberté publique », n’a pas sa place dans la ville de Paris. Car Paris, c’est au contraire la ville cratère de toutes les Révolutions de notre peuple : celle de 1789, celle de 1830, celle de 1848, celle de 1871. Paris, c’est la ville du triomphe de la devise nationale inventée par Robespierre : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Pourquoi un « Square Louis XVI » est-il placé ici ? La question mérite qu’on s’y arrête un instant. Il entoure une chapelle dite « expiatoire des crimes de la Révolution ». Sa construction a été ordonnée par Louis XVIII dès la restauration de la monarchie, en 1815, et achevée sous Charles X en 1826. Le bâtiment rend hommage à Louis XVI et Marie-Antoinette ; il est pensé comme un monument pour clore la période révolutionnaire et républicaine. Il constitue une telle insulte à la France républicaine que les proiets pour le démolir ont été monnaie courante depuis sa création : le 6 mai 1871, la Commune de Paris ordonne sa démolition ; sous la Ille République, c’est notamment Jean Jaurès qui portera le projet de le démolir. Il est à noter que la République a également tenté de s’approprier le bâtiment en y inscrivant sa devise ; aujourd’hui quasiment effacée, on peut encore lire presque distinctement le mot « Égalité » qui proscrit toute idée monarchique dans le pays de la République.

Madame la maire de Paris, la chapelle étant aujourd’hui classée monument historique depuis 1914, il semble compliqué d’accomplir la volonté de Jaurès en exigeant sa destruction. Peut-être serait-il possible néanmoins d’y faire figurer, sans déroger aux règles des monuments historiques, la devise républicaine qui s’y trouvait jadis (car il est probable qu’elle s’y trouvait en 1914 quand la décision a été prise). En revanche, il est tout à fait possible et même plus que souhaitable de renommer le square qui l’entoure et dont le nom peut être modifié par une simple décision de la municipalité. Ce serait là faire justice aux révolutionnaires, aux républicains, à celles et ceux qui ont inventé le drapeau tricolore, la Marseillaise et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Bref, la France telle qu’elle est : républicaine.

Il me semble que le nom le plus approprié serait celui de Maximilien Robespierre. Personnage central de la Révolution, inventeur de la devise nationale, aucun lieu ne porte son nom dans la capitale: pas une avenue, pas une rue, pas même une allée ou une impasse, pas une station de métro puisque celle qui le porte sur la ligne 9 est à Montreuil. Il est temps que justice lui soit rendue.

Je sais cependant combien la légende noire au sujet de Robespierre (quoique fausse comme l’ont désormais montré nombre d’historiens) est tenace et combien le choix d’un tel nom pourrait être clivant. Alors d’autres sont également possibles ! Le patriote Jean-Baptiste Drouet qui a fait arrêter le roi à Varennes n’a pas lui non plus, à ma connaissance, de lieu à son nom dans la capitale. Il le mériterait pourtant pour service rendu à la patrie!

Peut-être aussi pourrait-on mettre à l’honneur les femmes de la Révolution? Ainsi, si Pauline Léon bénéficie d’une allée à son nom dans le 1le arrondissement de Paris et si Théroigne de Méricourt bénéficie d’une rue à son nom dans le 13e, Louise-Félicité de Kéralio ne porte aucun lieu à son nom dans Paris. Elle est pourtant la première femme à avoir été rédactrice en cheffe d’un journal dont la devise était révolutionnaire : « Vivre libre ou mourir » ; républicaine convaincue, elle anime dès 1791 un club républicain à son domicile et est de celles et ceux qui portent des pétitions pour la République au Champ-de-Mars le 17 juillet 1791 en réponse à la fuite de Varennes : militante de l’égalité, elle se bat contre l’esclavage. Louise-Félicité de Kéralio : voilà donc qui pourrait être aussi un excellent choix pour renommer ce « Square Louis XVI » !

Vous le voyez, madame la maire de Paris : on peut trouver bien des noms d’hommes et de femmes patriotes révolutionnaires et républicains pour renommer ce « Square Louis XVI ». Ce ne sont pas les gens de valeur et d’honneur qui manquent dans notre histoire nationale. Mais qu’un square de Paris porte encore le nom du traître Louis Capet, avec le nom d’un titre dont la République l’a déchu avant de le juger pour conspiration contre la liberté publique et d’atteinte à la sûreté de l’État, cela semble au mieux inapproprié, au pire insultant pour tous les amis de la France républicaine.

À l’occasion de la date anniversaire de la fuite de Varennes, qui a révélé aux yeux du peuple la traîtrise de Louis Capet, je vous appelle, madame la maire de Paris, à engager un processus pour renommer le « Square Louis XVI » du nom d’un ou d’une révolutionnaire républicain ou républicaine. A l’heure où le poids de la monarchie présidentielle empêche l’expression de la souveraineté populaire, le symbole n’en serait que plus éclatant !

Veuillez agréer, madame la maire de Paris, mes salutations républicaines,

Antoine Léaument, Député de l’Essonne

Décidément, ils osent tout.

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