Il y a des soirées où l’entre-soi parisien prend des airs de vaudeville. Ce jeudi 6 novembre, dans un restaurant au nom décidément bien choisi — Le Cirque, en face du Centre Pompidou —, une cinquantaine de journalistes retraités, d’universitaires socialistes et d’anciens membres du CSA ont refait le monde. Leur monde : celui d’une presse bien propre, bien conforme, où l’on s’embrasse entre confrères de la même chapelle idéologique, en tremblant à l’idée que la France puisse penser autrement.
Sous le chapiteau, Laurent Joffrin jouait le Monsieur Loyal d’une soirée dédiée aux « menaces sur l’info ». Et son invité vedette, Thomas Legrand, s’est livré à un numéro de funambule : dénoncer les médias « politisés » tout en avouant, à demi-mot, qu’il en fait lui-même partie. Car depuis qu’un enregistrement clandestin l’a trahi — où on l’entendait admettre qu’il œuvre contre Rachida Dati — le journaliste de France Inter traîne cette casserole d’un militantisme assumé qu’il voudrait faire oublier.
Mais chez les gardiens autoproclamés de la « vraie » information, le coupable est tout trouvé : Vincent Bolloré. Il faut, selon Legrand, « parler de Bolloré, parce que c’est Bolloré le problème ! ». Il serait le mal absolu, le corrupteur des consciences, le grand ordonnateur de la « déjournalisation ». Rien que ça.
Autour des tables de bistrot, les têtes blanches acquiescent. CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche : autant de menaces pour leur confort idéologique. Thomas Legrand s’enflamme : ces médias d’opinion « ne sont pas des journaux », mais « des mouvements politiques ». Ironie du sort, l’homme qui, micro public à la main, confondait éditorial et militantisme, accuse les autres de faire ce qu’il pratique chaque matin sur les ondes : l’opinion déguisée en information.
Puis vient le clou du spectacle : un ancien membre du CSA, pris de remords tardifs, s’afflige d’avoir autorisé la diffusion d’I-Télé, devenue CNews. Un autre convive compare Bolloré à un industriel nazi des années 1930 — on ne rit pas, on révère. Et quelqu’un, sans ciller, demande : « Faut-il attendre 50 millions de morts pour réagir ? ».
La messe est dite. Entre le vin rouge et les références au IIIe Reich, l’assemblée conclut qu’il faut « arrêter Bolloré » et encadrer plus strictement la parole publique. Legrand, ravi, plaide pour un « service public fort » : traduisez, un monopole idéologique sanctifié par la redevance. Quand un invité ose évoquer l’enquête de l’Arcom sur le manque d’impartialité de France Inter, le journaliste rit jaune : « Bon courage pour prouver qu’on penche à gauche ! ». Et d’ajouter, avec cette mauvaise foi désarmante : « Quand on fait du vrai journalisme, ça paraît de gauche. »
À la fin, tout le monde s’accorde : la liberté d’expression, c’est bien, mais seulement quand elle pense correctement. Les humoristes de droite ne sont « pas drôles », les chaînes de droite ne sont « pas journalistiques », et les électeurs de droite ne sont « pas éclairés ».
Sous les néons du Cirque, un grand clown sourit aux convives. Il doit bien s’amuser. Car pendant que la France des plateaux rêvasse à interdire CNews et à « arrêter » Vincent Bolloré, le vrai public, lui, zappe. Et il n’écoute plus ces moralistes tristes qui confondent liberté et monopole de la parole.
La leçon du soir ? Le pluralisme, pour Thomas Legrand et ses amis, c’est un peu comme la démocratie : ils y croient, tant que ça ne sert pas leurs adversaires.