Chers lecteurs,

Pardonnez-moi de vous déranger pour un col roulé ; je ne pensais pas en arriver là après quinze années d’engagement politique.

Mais il le faut bien, car me taire serait me rendre complice du ricanement généralisé que risque de devenir peu à peu notre vie publique nationale.

Et puis pour tout vous dire : cela fait du bien de parler vrai, cela fait du bien de tenter de parler juste – ce qui pour moi a toujours voulu dire : écrire.

Le col roulé protège en hiver. Vous n’avez pas besoin d’un ministre pour le savoir. Vous avez encore moins besoin de ses recommandations vestimentaires. Je suis bien d’accord avec vous. Au risque de vous surprendre après une semaine où le contraire a été dit, je n’ai jamais recommandé à personne de porter de col roulé.

Vous préféreriez que je vous parle de la vie chère, des risques qui pèsent sur notre industrie ? Vous voudriez que je vous explique notre stratégie pour maîtriser l’inflation, protéger les plus modestes, éviter les délocalisations ?

Moi aussi.

Vous aimeriez discuter de nos choix énergétiques, de sobriété, de transition climatique ? Vous aimeriez savoir comment éviter un grand recul économique européen face à la montée en puissance de la Chine et à l’affirmation des intérêts américains ? Vous souhaiteriez que le ministre des Finances parle dette, impôts, compétitivité de nos entreprises, emploi ?

Moi aussi.

Du reste, je le fais tous les jours ou presque.

Et je continuerai à le faire.

Mais vous ne m’entendrez pas.

Vous ne m’entendrez pas, car ma parole sera recouverte par le bruit.

Tant de bruit pour si peu de sens : voilà le drame de notre vie démocratique. Qui ne se découragerait pas devant tant de futilité ? Qui ne se détournerait pas de la vie publique – politique, militante ou associative – en écoutant le concert de sarcasmes, le ricanement strident qui accompagne la moindre prise de parole du plus modeste de ses dirigeants ? Nous entrons dans des temps où toute licence est donnée aux singes hurleurs, contre ceux qui tentent de sauver les forêts.

Ma parole est une parole parmi les autres, même si elle exprime des décisions économiques importantes dans des temps difficiles. En démocratie, une parole de pouvoir a plus de poids, elle n’a pas plus de valeur. Ma parole vaut ce que vaut la parole de chaque citoyen de notre nation, ni plus, ni moins. Elle est contestable. Elle ne détient pas de vérité particulière. Elle est soumise comme les autres à la critique.

Pas davantage qu’une autre en revanche, elle ne mérite d’être déformée, transformée, tordue pour le seul plaisir du buzz et du bruit.

Il aura suffi de faire glisser sur les réseaux sociaux mes habitudes vestimentaires en recommandations vestimentaires, pour que mes propos tenus sur France Inter enflamment les esprits. « Il fait froid, mettez des cols roulés » – on connaît des conseils plus habiles en période de vive inquiétude. Raison pour laquelle, une fois encore, je me suis bien gardé de les donner.

Immédiatement, dans une déferlante moutonnière qui ne fait pas honneur à notre raison cartésienne, tous les procureurs de tous les plateaux médiatiques, sans jamais se donner la peine de vérifier mes propos, s’en donnèrent à cœur joie, hésitant entre la condamnation pure et simple et la réflexion subtile sur une éventuelle stratégie de communication du gouvernement. Les politiques leur emboîtèrent le pas. Ils en tremblaient d’indignation. Que me serait-il arrivé si j’avais parlé nudisme pendant la canicule ? Je préfère ne pas y penser.

Pas grave ?

Non, effectivement, pas grave le col roulé.

Pas grave et même salutaire, l’humour : l’humour est l’hygiène du pouvoir. On rit en démocratie, on ne rit pas sous les dictatures. Je me remettrai de ne plus pouvoir entrer dans une pièce sans qu’on me demande : « Tu n’as pas mis ton col roulé aujourd’hui ? »

Mais grave que le bruit recouvre la parole.

Grave que la polémique vaine étouffe le débat nécessaire.

Grave que nous ne puissions plus nous écouter, parce qu’alors, nous ne pourrons bientôt plus nous entendre.

Si nous laissons le monde numérique diffuser des paroles inexactes, transformer les propos, déformer les images, sans que nous tous – journalistes, politiques, citoyens – nous ne réagissions par un réflexe critique, le monde numérique colonisera nos esprits. Nous serons à sa botte. Le mensonge remplacera la vérité – le factice, le réel. Et comment croire encore dans la démocratie si nous ne partageons pas une même vérité ?

Je ne me fatiguerai jamais de servir mes compatriotes. Je ne me fatiguerai jamais de donner le meilleur de moi-même pour la France. Je défends des convictions. Je porte un projet économique. Je continuerai à le faire, haut et fort.

En pull, en cravate, en maillot de bain ou en costume, peu importe : je ne lâcherai rien sur mes idées.

Et certainement pas sur mon idée de la France.

Nous, le peuple français, nous avons en héritage les Lumières, les individus libres et égaux en droit, l’esprit critique, le sens de la mesure, la raison. Ne nous laissons pas emporter par la confusion des temps.

Nous sommes un peuple ; ne devenons pas une meute.

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