Il paraît que la justice est aveugle. En l’occurrence, elle semble surtout rancunière. Nicolas Sarkozy vient tout juste de retrouver la liberté – surveillée, bien entendu –, et déjà les magistrats ont saisi l’occasion pour rappeler qui commande. Parmi les conditions imposées à l’ancien président : interdiction de quitter le territoire, interdiction de voir les protagonistes du dossier… et, cerise sur le marteau, interdiction de rencontrer Gérald Darmanin, son ancien protégé devenu ministre de la Justice.
On aurait pu sourire de cette clause si elle n’était pas si révélatrice. Car enfin, interdire à un ex-président de parler à l’actuel garde des Sceaux, c’est un peu comme si la République interdisait à Jules Ferry d’adresser la parole à son ancien élève. Mais dans la France d’aujourd’hui, où la justice s’est émancipée de tout contrôle pour devenir un pouvoir politique à part entière, c’est un message limpide : « Tu t’es permis de visiter un prisonnier, on te le fera payer. »
Souvenons-nous : le 29 octobre dernier, Gérald Darmanin s’était rendu à la prison de la Santé. Une visite annoncée, encadrée, transparente — bref, tout sauf une manœuvre. Le ministre était venu voir un ancien chef d’État incarcéré, pour vérifier les conditions de détention et saluer le personnel pénitentiaire. Une scène banale sous d’autres latitudes, mais perçue ici comme un crime de lèse-majesté judiciaire. Les robes noires ont grincé des dents : comment ! Le ministre ose venir voir son ancien mentor ?
Depuis, l’officine des susceptibilités magistrales tourne à plein régime. Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, avait pris soin de faire la leçon au ministre, rappelant que « la sérénité du dossier » pouvait être troublée. Traduction : qu’il reste à sa place. Et voici donc la réponse, trois semaines plus tard : l’interdiction formelle pour Nicolas Sarkozy d’approcher celui qui est pourtant… son propre ministre de tutelle.
On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid. Les magistrats, eux, le servent glacé, avec le sourire pincé du fonctionnaire qui vous explique que tout est « strictement conforme à la procédure ». Derrière la technicité du contrôle judiciaire, c’est une gifle institutionnelle : Darmanin est ministre, mais la justice tient le manche.
L’entourage du ministre a tenté de sauver la face : « Le garde des Sceaux applique toujours les décisions de justice. » Sans doute, mais il est désormais clair que ces décisions servent aussi à lui rappeler qui tire les ficelles.
Cette affaire en dit long sur l’état du pouvoir dans notre pays : un exécutif craintif, une justice qui s’érige en contre-pouvoir politique, et des juges qui semblent confondre indépendance et revanche. Nicolas Sarkozy, lui, ne peut plus parler à son ancien élève. Mais qu’il se rassure : entre Darmanin et les magistrats, il y a visiblement plus de rancune que de République.

