C’est un petit séisme silencieux dans le monde très feutré de la guerre sous-marine. La Marine nationale vient d’annoncer que, grâce à l’intelligence artificielle, ses analystes acoustiques — les fameuses “oreilles d’or” — ont multiplié par cinquante leur capacité d’analyse. Derrière ce chiffre vertigineux se joue bien plus qu’une prouesse technologique : c’est une nouvelle ère de la guerre sous-marine qui s’ouvre.
Jusqu’ici, le travail de ces spécialistes consistait à écouter, reconnaître et classer les sons des océans — moteurs, hélices, sas, vibrations. Chaque navire, chaque sous-marin possède sa signature acoustique unique, véritable empreinte digitale sonore. C’est ce savoir humain, patient et empirique, qui permettait à la France d’identifier un bâtiment étranger avant même de le voir.
Mais voilà : les mers sont devenues saturées. Le trafic maritime explose, les capteurs pullulent, les données s’accumulent. Et dans cet océan de sons, même les plus fines oreilles humaines finissent par se noyer. D’où l’entrée en scène de Safran.AI, ex-Preligens, pépite française de l’intelligence artificielle militaire.
Sous l’impulsion de l’amiral Nicolas Vaujour, le Centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique (CIRA) a été le premier à “basculer complètement dans l’intelligence artificielle”. L’algorithme trie, filtre, reconnaît les motifs simples, déchargeant les marins des tâches répétitives. Résultat : une productivité multipliée par cinquante — sans sacrifier le savoir-faire humain.
L’amiral le souligne : « Le bon vieux marin ‘oreilles d’or’ reste irremplaçable. Aucun code Python ne saura jamais reconnaître l’instant où un sous-marin ouvre un sas ou redémarre son diesel. » Autrement dit : l’IA n’est pas un remplacement, mais un amplificateur. L’intelligence mécanique libère du temps pour l’intelligence humaine.
Cette hybridation entre la machine et le marin illustre une tendance de fond : la défense française s’automatise à marche forcée. Drones, capteurs autonomes, systèmes prédictifs — la guerre moderne s’écrit désormais à coups d’algorithmes.
Reste une question : que devient l’art du jugement humain dans un monde où la machine écoute, trie, et classe avant nous ? Les “oreilles d’or” ont encore leur place — mais dans un océan d’IA, elles devront veiller à ne pas devenir sourdes à l’essentiel : la part de discernement que seule une conscience humaine peut offrir.