Dans son livre « La Citadelle« , l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer taille un gigantesque costard à son prédécesseur de sinistre mémoire François Bayrou. Ces lignes sont affutés, amusantes, pertinentes. En voici quelques extraits :

Les soutiens les plus divers font toujours cortège aux jours heureux. Les premières réussites me valurent ainsi de nouveaux amis. François Bayrou me fit d’emblée un effet étonnant.
Très chaleureux, il me rendait de fréquentes visites.
« Tu sais que la cheminée, c’est moi qui l’ai fait refaire.
– Merci François. Grâce à toi, j’aurai moins froid dans ce grand bureau. »
Je sentais qu’il attendait une reconnaissance plus grande encore d’un tel accomplissement. Il était capable de prononcer des compliments dès lors qu’il pouvait les relier à des compliments plus forts qu’il se faisait à lui-même.

Ayant fait carrière très jeune avec des idées très simples, il avait d’emblée brûlé son capital politique en proposant d’abroger la loi Falloux. Il souhaitait ainsi ouvrir la possibilité aux communes d’aider les écoles privées dans leurs investissements. On n’abat pas impunément des arbres centenaires, surtout s’ils ne font ombrage à rien. Le projet mit la foule dans la rue. Bayrou permit à la gauche d’égaler la mobilisation que la droite avait obtenue dix ans plus tôt contre le projet Savary.

Dans la situation du joueur qui marque un but contre son camp alors que son équipe menait, François Bayrou fut alors très proche de la sortie à l’orée de l’accomplissement de ses ambitions. Sitôt promu, sitôt perdu. Le jeune ministre trouva alors la martingale : la vente à l’encan de la maison dont il avait la charge. En clair, il donna les clés au SNES, le principal syndicat enseignant. Près de quatre ans passèrent ainsi, au mitan d’une décennie dont nous payons encore le prix, où toutes les concessions furent faites.

Bayrou tire de cette période l’idée qu’il connaît mieux que personne le monde enseignant. Il explique volontiers ce que pense selon lui le professeur ordinaire. Ses vues se limitent en général à des conseils de prudence. Sa vision de l’éducation rejoint ainsi sa vision politique générale. De grands principes sont affichés comme l’équilibre budgétaire ou le retour de l’autorité. Mais, sitôt que l’on en vient aux travaux pratiques, il est plutôt question de compromis, de pause ou d’exception.

(…)

Voyant la popularité des thèmes que je portais, notamment autour de la question des savoirs fondamentaux, il dessinait une parenté avec ce qu’il avait pu accomplir lui-même. Je devenais par sa magie le fils spirituel de celui dont on devait comprendre qu’il était un grand précurseur. Il ne fallait pas trop interroger ce parrain d’adoption sur une quelconque illustration concrète de ce courage d’autrefois. Il se référait alors toujours à son livre, La Décennie des malappris, opuscule estimable qui avait rejoint la bibliothèque assez vaste des ouvrages nostalgiques et imprécateurs sur l’école. Un peu comme si Foch, en septembre 1914, avait décidé plutôt que de livrer la bataille de la Marne d’écrire un intéressant traité sur l’art militaire. Et qui, plein de lucidité rétrospective, aurait occupé le reste de ses jours à expliquer à une France envahie ce qu’il aurait fallu faire.

(…)

On comprenait alors ce que d’autres, comme Simone Veil ou Jacques Chirac, avaient vu avant moi : ce qui comptait pour François Bayrou, c’était le verbe plutôt que l’acte, l’apparence plutôt que la réalité, les joies de Narcisse plutôt que les travaux d’Hercule.
Au moins ne pouvait-on pas lui ôter une chose : sa capacité à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Il faut dire qu’il avait une lunette infaillible pour en faire le départ : l’essentiel, c’était lui, et l’accessoire, c’était les autres.