Pendant que des quartiers entiers de Paris étaient soumis à la violence des racailles, que des vitrines explosaient sous les coups de barres de fer, que des bandes organisées saccageaient les Champs-Élysées, le préfet de police, Laurent Nuñez, auditionné mardi par la commission des Lois, affichait un calme olympien : selon lui, « pas de graves dysfonctionnements ». Mieux encore : le dispositif de sécurité était « robuste », « calibré », « offensif » — bref, exemplaire.

On croit rêver. Ou plutôt cauchemarder.

Dans une capitale livrée à la violence, où les forces de l’ordre ont été débordées, attaquées, humiliées par des « jeunes des quartiers de la petite et de la grande couronne » (selon les propres mots du préfet), le responsable en chef ne voit rien à redire. Deux morts, des centaines de blessés, des pillages, 559 interpellations, un périphérique bloqué par des voyous improvisés en guérilleros urbains, et Nuñez, imperturbable, continue d’aligner ses éléments de langage avec la froideur d’un logiciel administratif.

C’est devenu un rituel bien rodé : à chaque nouvelle flambée de violence, la même scénographie. Le terrain est perdu ? On parlera de « gestion maîtrisée ». Les policiers sont caillassés ? On félicitera leur « réactivité ». Le pays brûle ? On évoquera la « robustesse du dispositif ». Peu importe le réel : tant que la communication est propre, la hiérarchie se félicite.

Pendant ce temps, les Français assistent, impuissants, à l’effondrement d’un ordre public que l’État n’a même plus l’ambition de défendre. Car derrière les mots de Laurent Nuñez, on entend surtout cette résignation molle du pouvoir face à la violence urbaine. Les casseurs ne sont plus des anomalies, ce sont des variables avec lesquelles on compose. Et on ose ensuite s’indigner quand les citoyens parlent d’ensauvagement.

Le plus glaçant n’est pas que ces scènes aient eu lieu — elles sont devenues tristement banales. Le plus glaçant, c’est que les responsables n’aient même plus honte. Qu’ils s’autocongratulent, en pleine audition parlementaire, pendant que le pays se disloque.

Mais qu’on se rassure : il n’y a pas de « grave dysfonctionnement ». Juste une société qui, lentement mais sûrement, apprend à vivre dans le chaos — pendant que ceux qui devraient la protéger applaudissent leur propre impuissance.