Un de mes ex-collègues (Nicolas Molfessis, de l’université Panthéon-Assas) dit sa façon de penser sur la nomination d’un avocat (médiatique) au poste important de Ministre de la Justice 1.

Il relève les réactions passionnelles d’un Syndicat de magistrats (l’autre n’étant pas loin de penser de même) et des démissions de  »parquetiers » tropicaux. Cet universitaire fait sien l’argumentaire des syndicats de magistrats. Pour aller à l’essentiel, il vise les déclarations plus ou moins rudes que l’ex-avocat a pu faire vis à vis des certains magistrats. Or, contrairement au propos pour le moins hâtif de ce collègue, mon confrère ne vise pas la magistrature dans son ensemble mais, pour le citer avec plus d’exactitude, fait le constat qu’il y a, dans le corps de la magistrature : «les juges compétents et par voie de conséquence les incompétents, les travailleurs et les fainéants, les gens honnêtes intellectuellement et les malhonnêtes ; mais cette gestion hallucinante du corps, cet entre-soi maladif, fait qu’un bon juge est un juge qui rend beaucoup de décisions. Parce que la statistique taraude la hiérarchie ».

C’est donc un constat qualitatif bien plus nuancé que l’intention qui est prêtée au nouveau ministre, puisque c’est la cause, et non ses conséquences que visait le bouillant avocat, effaré par les bavures judiciaires comme le fut l’atroce et lamentable affaire d’Outreau. Le piquant c’est que beaucoup de magistrats se désolent eux aussi de cette culture du  »rendement » que dénonce l’avocat. Me privera-ton, moi aussi, du droit de déplorer l’à peu près de ce collègue ?

Ce (assez) jeune collègue ne donne pas en l’espèce des signes d’une pratique affûtée de la méthode exégétique juridique, art essentiel qu’on enseigna jadis dans nos doctes facultés. La vraie grande question que soulève ce collègue est celle de savoir s’il est permis dans notre pays de critiquer ce qui ne va pas ; si un avocat serait tenu au devoir de réserve ? Est-il interdit à un citoyen, a fortiori à un juriste, de critiquer l’ENM qui n’est pas la magistrature mais l’école à qui l’on reproche le formatage de bien trop de magistrats ? N’est-ce pas d’ailleurs toute la société française qui mériterait d’être inspectée à la loupe des vertus ? Les énarques qui ne connaissent que des recettes d’exécutants. Des économistes qui, lorsqu’ils interviennent à la télé étalent leurs titres universitaires et  »oublient » de mentionner qu’ils  »appartiennent » au sens fort du terme, à des conseils d’administration de banques, d’établissements financiers ou d’assurances. Les médecins qui cachent soigneusement leurs liens avec de grands laboratoires pharmaceutiques. Les journalistes qui portent trop souvent les messages des capitalistes qui dirigent leurs médias. Et même certains professeurs de droit dont les opinions scientifiques semblent aller souvent au devant de celles de leurs clients, grande distribution, industrie ; et, en l’occurrence, banques, presse économique ultra libérale ou club le Siècle.

Nous ne disons pas que notre confrère, le très démonstratif Eric Dupond-Moretti, est immaculé. Mais nous disons que ceux qui l’attaquent sont bien loin de délivrer des opinions impartiales, reposant sur des analyses rigoureuses ; ce qui les prive de tout crédit. Depuis les origines, les Ministres de la justice ont été des exécutants, des personnalités falottes, serviles ou franchement malhonnêtes. Nous avons déjà exposé ici-même les 15 réformes de fond qu’un grand ministre devrait entreprendre pour rendre sa justice à la République. Et celui-ci a déjà suscité tellement de rejet qu’il est obligé de proposer les profondes réformes que la Cité attend. 

Puis, probablement, de partir avec éclat car jamais le pouvoir ne le laissera faire. 

Notes:

  1. La Semaine Juridique Édition Générale n° 29, 20 Juillet 2020
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