L’Union européenne aime les symboles, surtout lorsqu’ils flattent l’illusion d’une puissance retrouvée. Le dernier en date s’appelle MARTE, acronyme martial pour Main ARmoured Tank of Europe. Un projet ambitieux, financé par le Fonds européen de défense, qui promet rien de moins que la renaissance du blindé continental. À en croire ses promoteurs, il s’agirait du premier char de cinquième génération développé intégralement en Europe. Mais à quoi bon concevoir un monstre d’acier si l’Europe, désarmée dans ses volontés politiques, reste otage de sa pusillanimité stratégique ?
Une usine à gaz technocratique aux allures d’hydre bureaucratique
Derrière les communiqués dithyrambiques et les photos flatteuses, MARTE reste ce qu’il est : une gigantesque machine industrielle, regroupant 51 entités de 12 pays, pilotée (Ô surprise !) par deux géants… allemands. Leonardo pour l’Italie, Saab pour la Suède, Indra pour l’Espagne… et bien sûr la bureaucratie européenne pour coiffer le tout. Il ne manque que la Commission pour s’installer dans la tourelle.
À force de vouloir concilier les doctrines nationales, les intérêts industriels et les susceptibilités diplomatiques, l’Europe produit une chose bien connue de ses citoyens, et justement d’inspiration toute allemande : un compromis. Or, en matière militaire, un compromis est souvent synonyme de vulnérabilité.
Un char pensé pour demain mais piloté avec les hésitations d’aujourd’hui
Sur le papier, MARTE impressionne. Architecture numérique ouverte, propulsion hybride-électrique, camouflage thermique, coordination par intelligence artificielle, interconnexion multi-domaines… Tout y est. Ou plutôt, tout y sera. Car pour l’instant, nous n’avons qu’un concept et beaucoup de discours. Le champ de bataille du réel attendra.
Les initiés du monde militaire savent qu’un char ne vaut pas que par sa technologie, mais par sa doctrine d’emploi, la cohérence de sa chaîne de commandement, l’audace de ceux qui le manient. Or, c’est bien là que le bât blesse. Car la vraie question n’est pas de savoir si MARTE roulera. Mais bien qui osera s’en servir.
L’U.E., toujours prête à la paix, jamais prête à combattre
Depuis la guerre en Ukraine, l’Europe s’est réveillée en sursaut face à la brutalité du monde. Mais cette brusque lucidité stratégique ne saurait masquer des décennies de désarmement moral. L’Europe s’est dotée de lois, de traités, de mécanismes de coordination. Mais elle a abandonné, peu à peu, la volonté de défendre elle-même son destin.
Le projet MARTE prétend rompre cette dépendance aux armements américains. Fort bien. Mais un char, si sophistiqué soit-il, ne remplacera jamais une colonne vertébrale politique. Et tant que l’Europe continuera de sous-traiter sa sécurité à l’OTAN ou à Washington, ces démonstrations technologiques resteront des trophées inutiles.
Une alternative au MGCS ? Ou un cache-misère franco-allemand ?
Le projet MGCS, ce fameux char franco-allemand censé succéder au Leclerc et au Leopard, piétine dans l’indifférence. Entre rivalités industrielles et divergences stratégiques, rien n’avance. MARTE se présente alors comme une alternative, ou un plan B technologique. Mais comment croire que l’on résoudra par un autre programme ce que l’on n’a pas su résoudre à deux ?
Derrière l’enthousiasme affiché, certains voient surtout un désaveu : celui d’une coopération franco-allemande de plus en plus illusoire. MARTE permet à l’Allemagne de reprendre la main, sans Paris. Et à la France de s’illusionner encore un peu sur un hypothétique rééquilibrage stratégique européen.
Un géant d’acier pour masquer la fragilité morale
À l’heure où les États-Unis redeviennent imprévisibles, où la Russie continue de menacer l’Est, et où la Chine muscle son influence, l’Europe tente de se convaincre qu’elle peut exister militairement. Il lui fallait un symbole, un programme, un drapeau sous lequel fédérer ses ingénieurs et rassurer ses chancelleries. MARTE est né de cette angoisse d’impuissance.
Mais ce n’est pas en construisant un blindé qu’on retrouve l’esprit de résistance. La souveraineté n’est pas une affaire de circuits imprimés ou de blindage composite. C’est d’abord une volonté. Et cette volonté, aujourd’hui, fait cruellement défaut à l’Europe.