Quelque chose ici me frappe régulièrement, c’est que toutes sortes de personnes qui se pensent – sincèrement, probablement – « de gauche » ne sont simplement que des soutiens d’une société victimaire-compassionnelle, dans laquelle on drape du mot gauche la simple idée de reprendre les postures et les positions des dames d’œuvre du XIXe siècle.

Il suffirait de pleurnicher sur le malheur du monde, en pleurnichant chaque fois sur le thème sur lequel les médias ont choisi de pleurnicher, ici un affreux dictateur comme Saddam Hussein qui tue 200 personnes par an, jusqu’à ce que les États-Unis « libèrent » le pays et fassent plus de 1000 morts par jour par l’effet de leur « libération », mais l’essentiel est acquis, le méchant du spectacle de guignol qui leur a été présenté et auquel ils ont adhéré a été tué.

Un autre soir, on leur montre un autre endroit, on leur dit que c’est affreux et on leur dit qu’il faut absolument « s’indigner » ; il s’indignent.

Ici c’est un affreux dictateur Vénézuélien, là c’est un feu de forêt en Amazonie, là ce sont des parents qui ont donné une fessée à leur enfant, là ce sont des femmes qui ont odieusement souffert des regards insistants des hommes dans le métro ou du fait qu’ils se sont assis en écartant les jambes dans un train…

Sur de petites ou sur de grandes choses, le système est toujours le même, il s’agit de proposer à la population de s’indigner sur un sujet qui est choisi, en commun, au même moment, par le système de régulation de la société qui est couramment appelé « les médias » et qui se tourne tellement spontanément toujours au même moment partout sur le même sujet…

Comme on s’indigne, c’est bien la preuve qu’on est « de gauche »…

Et ce qui est extraordinaire c’est que ça fonctionne bien, ça ne trouble que peu de personnes, on passe constamment d’une indignation à l’autre, sans voir que le cœur du problème, il n’est en général pas dans ces petites indignations de chaque jour qui font croire à des petits bourgeois qu’ils sont de gauche, tandis que le peuple se sent totalement abandonné sur ce qui est sa vie.

Pas étonnant alors que ces catégories populaires ne voient plus d’espoir que dans l’extrême droite qui est la seule à tenir tête aux pleurnicheries médiatiques, et qui leur parle de leurs problèmes.

Ça tombe bien, l’extrême droite est là pour l’organiser ce « petit peuple » et le dresser en épouvantail pour faire élire par peur, et indignation – souvenez-vous de la kermesse d’Oradour-sur-Glane, et auparavant en 2002 des manifestations d’enfants place de la République – faire élire le banquier qui permettra de mettre fin aux partis, qui était un système qui donnait finalement encore trop de pouvoir à la population.

Le système fonctionne décidément très bien.

Régulièrement je suis condamné, je suis condamné – et bloqué ? – comme étant fasciste, de droite, d’extrême droite, ou simplement un salaud, par des gens enivrés de ce flux médiatique de repentance un jour, d’indignation le lendemain, et qui pensent être la pointe avancée de la gauche.

Chaque jour je m’efforce de déconstruire le message de ce système pour essayer de montrer ce qui se passe véritablement et que ce rideau de fumée est là pour cacher.

Je me permets de leur dire que la gauche ce n’est pas cela.

La gauche ce n’est pas pleurer sur commande médiatique, sur des bateaux qui vont chercher les migrants des mains des passeurs sur la côte libyenne, c’est essayer de comprendre d’abord et d’affronter le désordre du monde, pour empêcher que des centaines de milliers de gens ne soient projetés dans de telles situations, et ensuite qu’ils soient utilisés, – enveloppés dans une qualité de victimes que leur aura donnée le système médiatique – projetés contre des centaines de millions de travailleurs en Europe, pour détruire les protections sociales que leurs luttes ont construit pendant des décennies.

Il est par exemple des choses dont on n’a le droit de ne se préoccuper à aucun moment et sur lesquelles on ne verse pas la moindre larme parce que ça ne présente pas d’intérêt pour le système : en même temps que les 300 personnes les plus riches de la Terre s’enrichissent à l’extrême chaque jour, tous les deux jours il meurt de la faim le même nombre de morts que le 11 septembre 2001. Ce n’est pas moi qui fait cette comparaison c’est le secrétaire général de l’ONU à l’époque.

Ce flux n’a pas diminué, il est très au-delà du flux sur lequel on nous fait pleurer chaque jour sur les bateaux en Méditerranée, cependant c’est lui qui fait que vous avez du cœur ou pas de cœur dans la société du Spectacle, si vous ne pleurez pas sur la Méditerranée, et les beaux bateaux souvent financés par des milliardaires – de gauche, forcément de gauche – Nord-américains, vous êtes un monstre et si vous gardez l’œil sec sur les morts de la faim, tellement plus nombreux c’est qu’on ne peut pas s’occuper de tout…

Et puis on n’a pas chaque soir au 20 heures, ou en boucle sur les chaînes d’information, les images !

C’est donc un grand Spectacle, une grande manipulation au cœur de laquelle nous sommes projetés par quelques centaines de personnes qui détiennent la fraction la plus concentrée du Capital dans le monde et qui, elles, poursuivent avec sérieux, stabilité et réflexion, des objectifs qui correspondent à leurs intérêts.

Et régulièrement, ce que ces personnes font mettre en avant par leur personnel de médias, la larme à l’œil, pour organiser et orchestrer l’indignation médiatique à destination de la petite bourgeoisie – qui constitue et organise ce que l’on va appeler en Occident « l’opinion » – c’est cela que l’on va venir sur mon mur me dire être « la gauche ».

Mais si la gauche consiste à penser à la fin du journal télévisé que « les médias pensent comme moi », alors on pourrait s’interroger sur le fait de savoir pourquoi, si les médias détenus par les plus riches et les plus puissants pensent comme vous, qui vous sentez « la gauche », pourquoi il ne se passe jamais rien pour que les choses aillent mieux ?

La gauche, ce n’est pas jouer les utilités dans la société du Spectacle et pleurnicher quand on vous dit de pleurnicher.

La gauche c’est essayer de comprendre où est le cœur de ce qui va mal dans la société, et essayer d’avoir l’imagination nécessaire pour voir comment, sur chaque sujet, il est possible de trouver le moyen de modifier la donne, sur la répartition du pouvoir et de richesses, en faisant agir les acteurs sociaux, et les catégories populaires, parce qu’on leur aura donné suffisamment d’information et de formation pour être capables par eux-mêmes de se mettre en mouvement.

Se mettre en mouvement de façon rationnelle et non explosive, de façon à ce que la dynamique des choses ne fasse pas que ce soit toujours plus mauvais, comme c’est le cas depuis la chute du Mur de Berlin, mais au contraire permette de faire avancer pour le plus grand nombre, leur condition et leur vie.

Non, la gauche ce n’est pas « avoir le beau rôle dans la société du Spectacle », c’est dire et faire des choses pour que ça change dans le bon sens.

C’est ce à quoi je m’applique ici, sans être le moins du monde touché une seconde par tous les anathèmes de tous ceux qui, enivrés par le flux médiatique, exigent que la gauche ce soit se plier à l’injonction du moment de l’indignation médiatique de masse.

Source : Facebook

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