À Rouen, sur le socle de la statue de Rollon, une récente inscription à l’encre rouge : « Brigade de la haine ».

Lorsque j’avais 10 ans, en Roumanie, on nous a parlé à l’école de la haine de classe, nécessaire et ultime stade de la lutte de classe. J’ai compris confusément que je faisais partie du groupe qui devait subir cette haine purificatrice.

Ceux qui, à l’époque, étaient plus âgés que moi ont eu à affronter des brigades de la haine – même si, officiellement, elles ne portaient aucun nom. On disait juste « les camarades du centre », et cela suffisait pour vous glacer le sang.

Ils se rendaient dans les universités et dans diverses institutions, convoquaient tout le personnel et démasquaient les ennemis de classe. Pour être un ennemi il suffisait d’avoir eu un grand-père qui avait fait de la politique avant-guerre, même au plus bas niveau, ou avoir possédé plus de 5 hectares de terre, ou avoir eu, en tant qu’artisan, des apprentis. Ennemi était, également, celui qui avait raconté une blague politique ou s’était plaint de la qualité du pain. Un homme marié pouvait pâtir à cause de ses beaux-parents, même s’ils étaient morts avant son mariage.

Les « camarades du centre » vous exhibaient devant l’assemblée et vous mettaient en accusation. Ensuite, quelques-uns de vos collègues se joignaient à eux pour déclarer qu’ils vous soupçonnaient depuis bien longtemps et se félicitaient d’avoir su échapper à votre influence néfaste. À la fin, vous étiez obligé de faire votre auto-critique, c’est-à-dire, presque toujours, avouer des choses qui ne vous étaient même pas passées par l’esprit. Le statut de pestiféré vous était ainsi acquis. Souvent, cela finissait par quelques années de rééducation en prison ou dans un camp de travaux forcés.

Je ne savais pas tout cela lorsqu’on nous a parlé de la haine de classe. Maintenant, je sais. Et de voir cette inscription au pied de Rollon ne fait que confirmer le sentiment infernal qui me hante depuis quelques années : le temps s’est mis à tourner et nous revenons tous dans le cauchemar où j’ai ouvert les yeux.

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