L’Élysée cambriolé de l’intérieur

Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock

L’affaire aurait pu rester anecdotique si elle n’avait pas touché le cœur même de l’État. Pendant au moins deux ans, de la vaisselle appartenant à l’Élysée a discrètement disparu des réserves du palais présidentiel. Des pièces de porcelaine de Sèvres, des coupes de champagne Baccarat, une statuette signée René Lalique, mais aussi des assiettes issues de services historiques commandés par Jacques Chirac ou Georges Pompidou. Le tout s’est retrouvé… en vente sur internet, notamment sur la plateforme Vinted.

Les faits sont désormais établis. L’alerte est donnée en interne lorsque l’intendant général de l’Élysée constate des disparitions répétées d’objets utilisés lors des dîners officiels ou conservés dans les réserves du palais. Rapidement, la manufacture de Sèvres, fournisseur historique de la présidence, identifie plusieurs pièces suspectes mises en vente en ligne. Le préjudice est évalué entre 15.000 et 40.000 euros.


Un vol venu de l’intérieur

Les investigations orientent vite les soupçons vers un agent de la présidence : Thomas M., maître d’hôtel et argentier de l’Élysée. Chargé notamment des inventaires, il aurait volontairement minoré les comptes pour masquer les vols qu’il préparait. Une méthode rudimentaire, mais suffisante dans un environnement où la confiance semble avoir remplacé le contrôle. Selon une source proche de l’enquête, « tout pointait vers lui ».

Thomas M. est interpellé le 16 décembre par la Section de recherches de Paris, en même temps que Damien G., gérant d’une société de vente d’objets d’art de la table en ligne. Sur un compte Vinted attribué à ce dernier, les enquêteurs découvrent plusieurs objets clairement identifiables comme provenant de l’État, dont une assiette estampillée « Armée de l’air » et des pièces de Sèvres jamais commercialisées.

La bêtise en plus du cynisme

Le plus sidérant reste sans doute l’amateurisme du dispositif. Chaque pièce était marquée, numérotée, inventoriée. Un récolement des dépôts avait même été effectué en 2022. Autrement dit, les objets étaient parfaitement traçables. Malgré cela, ils ont été proposés à la vente comme de simples biens de seconde main, sans précaution particulière, sur des plateformes accessibles à tous.

Les perquisitions menées au domicile des suspects et dans leurs véhicules permettent de retrouver près d’une centaine d’objets. Parmi eux figurent des casseroles anciennes en cuivre, des services décorés à l’or datant du XIXᵉ siècle, des assiettes du service « aux Oiseaux » livré à la présidence en 1872, ou encore des pièces dessinées par Serge Poliakoff en 1969 pour Georges Pompidou.

Un receleur bien placé

Un troisième homme apparaît rapidement dans le dossier : Ghislain M., collectionneur de porcelaine de Sèvres et surveillant au musée du Louvre depuis novembre 2023. Identifié comme receleur principal, il se serait procuré plusieurs pièces via le compte Vinted de Damien G. Ironie supplémentaire, il avait récemment prêté une partie de sa collection pour une exposition consacrée au Sèvres impérial et royal. L’exposition a depuis été démontée et les objets remis aux enquêteurs.

Aujourd’hui, l’Élysée a récupéré la quasi-totalité des pièces volées. Une maigre consolation. La présidence détient en dépôt environ 70.000 pièces de la manufacture de Sèvres et utilise une vingtaine de services pour les dîners officiels. Jusqu’à présent, une seule assiette avait été officiellement déclarée perdue ces dix dernières années.

La République en défaut de surveillance

Les trois suspects ont été déférés le 18 décembre en comparution immédiate pour vol d’objets inscrits au patrimoine, en réunion, et recel aggravé. Ils encourent jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Le procès a été renvoyé au 26 février 2026. En attendant, ils sont placés sous contrôle judiciaire.

Cette affaire dépasse largement le fait divers. Elle révèle une désinvolture inquiétante dans la gestion du patrimoine de l’État. Quand des objets symboliques de la continuité républicaine peuvent disparaître pendant des mois sans réaction, c’est toute une chaîne de responsabilité qui interroge. À force de ne plus rien sacraliser, on finit par tout perdre — y compris le sens de ce que l’on est censé protéger.

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