C’est une ironie de l’Histoire : le fameux « front républicain » que l’on brandissait jadis pour empêcher Marine Le Pen d’accéder au pouvoir se retourne désormais contre Jean-Luc Mélenchon. D’après un sondage Odoxa-Backbone, 58 % des Français sont prêts à se coaliser pour barrer la route à l’Insoumis, soit davantage qu’en cas de duel avec le Rassemblement national.
Autrement dit : le « vote barrage » n’a pas disparu, il a simplement changé de cible.
Et il faut dire que la lassitude est immense. En juillet 2024, les désistements massifs imposés aux Français pour contrer le RN avaient fini par exaspérer. Un an plus tard, plus de la moitié des électeurs désapprouvent ce cordon sanitaire, y compris dans les rangs macronistes. Résultat : le réflexe anti-RN s’érode, mais l’hostilité envers les Insoumis prospère.
Car Mélenchon paye le prix de ses outrances permanentes, de son radicalisme assumé et de ses accointances idéologiques avec les extrêmes de la gauche. Même les électeurs d’Anne Hidalgo et de Yannick Jadot, pourtant peu suspects de penchants nationalistes, sont une majorité à dire stop. Le « front anti-LFI » transcende désormais les clivages, jusqu’à séduire une partie des électeurs de la droite classique, dont plus de la moitié n’hésiteraient pas à préférer un candidat RN plutôt qu’un représentant de la gauche unie.
Le constat est clair : dans l’esprit des Français, Marine Le Pen et Jordan Bardella ne sont plus le croquemitaine que les élites s’acharnaient à brandir. C’est Mélenchon qui, aujourd’hui, incarne la menace. Le tribun septuagénaire, qui rêve encore d’une quatrième candidature présidentielle, découvre que le « front républicain » qu’il avait applaudi lorsqu’il visait le RN se retourne comme un boomerang contre sa propre personne.
Derrière ces chiffres, c’est tout un paysage politique qui se redessine. Le « bloc central » macroniste, impopulaire et usé, n’a plus la force d’imposer sa grille de lecture. Le RN, malgré les diabolisation successives, s’installe peu à peu comme une force politique normalisée, au point d’apparaître moins repoussoir que les Insoumis. Quant à Mélenchon, il se retrouve prisonnier de son image de leader radical et sectaire, incapable de rassembler au-delà de son noyau dur.
Le « front républicain » n’est donc pas mort : il a simplement changé d’adresse. La gauche qui l’a instrumentalisé pendant des années découvre avec amertume qu’il peut aussi s’appliquer à elle.