NDLR : La Lettre Patriote a très peu publié sur le conflit en Terre sainte, considérant que ce n’est pas au centre des préoccupations de ses lecteurs. Néanmoins, les séismes géopolitiques ayant toujours des répercussions locales en France, il nous a paru naturel de solliciter l’une des meilleures spécialistes de la région pour lui demander son point de vue sur les événements qui se sont déroulés depuis le 7-Octobre.
Ce que nous publions ici est donc un éditorial d’opinion écrit par une experte du monde arabe et ne représente en aucun cas une hypothétique position commune de notre rédaction. Nous avons confiance en nos lecteurs pour qu’ils sachent faire la différence.
Ancienne chroniqueuse pour Arab News et Al Arabiya English, experte indépendante reconnue en relations internationales, Maria Dubovikova est une commentatrice politique, chercheuse et spécialiste des affaires du Moyen-Orient.
Le 7 octobre 2023, le groupe militant palestinien Hamas a lancé son opération « Déluge d’Al-Aqsa », une provocation qui a déclenché une cascade de violences, marquant le début de l’une des catastrophes humanitaires les plus graves du 2 1e siècle. Loin d’être un simple acte de résistance, cette attaque semble avoir servi de prétexte minutieusement exploité, rapprochant Israël de son ambition de longue date : la réalisation d’un « Grand Israël ». Cette attaque inadéquate du Hamas a fourni à Israël le casus belli nécessaire pour poursuivre ses objectifs stratégiques, visant effectivement à effacer la Palestine de la carte. Témoins de cette tragédie en cours, nous sommes confrontés à une réalité sombre : un scénario où l’incertitude à court terme pour Israël a cédé la place à une défaite à moyen terme pour la Palestine et à une vision à long terme où la Palestine cesse d’exister.
Le bilan humanitaire : une catastrophe se déploie
Début octobre 2025, l’ampleur de la dévastation à Gaza est stupéfiante. Selon les autorités sanitaires de Gaza, plus de 67.000 Palestiniens ont perdu la vie depuis l’escalade du conflit le 7 octobre 2023. En outre, 170.000 personnes ont été blessées, beaucoup grièvement, dans une région où l’infrastructure médicale a été systématiquement démantelée. Le blocus et la destruction des services essentiels ont entraîné des centaines de morts par famine et malnutrition, les enfants étant parmi les plus vulnérables. D’innombrables corps restent ensevelis sous les décombres des bâtiments effondrés, un témoignage lugubre de l’intensité implacable de la campagne militaire israélienne. La crise humanitaire à Gaza n’est pas seulement un sous-produit de la guerre, mais le résultat d’une stratégie qui a laissé des millions de personnes sans accès à la nourriture, à l’eau ou à un abri.
La puissance incontrôlée d’Israël : un nouvel ordre régional
Le conflit a mis en évidence plusieurs réalités sans précédent, la principale étant l’impunité quasi totale d’Israël. L’audace de ses opérations s’étend bien au-delà de Gaza. Dans une démonstration saisissante de précision et d’audace, Israël a ciblé des membres du Hezbollah à Beyrouth, utilisant des pagers piégés pour infliger des pertes significatives dans les rangs du groupe. Cette opération, menée sur un sol étranger, a été suivie par une frappe de missile distincte qui a tué le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, neutralisant l’organisation en tant que menace significative. Ces actions, exécutées sans répercussions internationales ou régionales significatives, soulignent que lorsqu’il est soutenu par les États-Unis, Israël opère avec une liberté presque illimitée.
Les récentes frappes ciblées d’Israël à Doha, au Qatar, visant des dirigeants du Hamas, démontrent la portée de ses opérations. Israël a justifié l’attaque comme une mesure nécessaire pour éliminer les responsables de l’organisation de l’assaut du 7 octobre 2023 sur son territoire. Ces frappes ont révélé la vulnérabilité des monarchies du Golfe, entravées par les bases militaires américaines, les accords économiques et les actifs financiers substantiels détenus aux États-Unis, ce qui les rend effectivement paralysées et privées de fierté nationale, de souveraineté et même d’intérêts (leurs intérêts sont tolérés exclusivement si ils sont alignés sur ceux des États-Unis). Les États-Unis peuvent exercer ce contrôle à tout moment, rendant ces nations incapables de contester les actions d’Israël et de lutter pour leur propre indépendance. Certains pays du Moyen-Orient, notamment la Jordanie, sont tellement dépendants des États-Unis qu’ils ont même intercepté des missiles iraniens visant Israël, privilégiant l’alignement avec Tel-Aviv plutôt que la solidarité avec la cause palestinienne, malgré un soutien populaire massif pour la Palestine et une haine générale envers Israël. L’Égypte, également contrainte par sa dépendance économique envers les États-Unis et la peur d’antagoniser Washington, reste passive, se limitant à l’aide humanitaire et aux efforts diplomatiques. Le nouveau régime syrien, soutenu par les États-Unis et Israël après l’effondrement du gouvernement de Bachar el-Assad, ne représente aucune menace pour Israël et les intérêts américains dans la région. Incapable même de récupérer les territoires saisis par Israël après l’effondrement du régime d’Assad, ce régime est préoccupé par l’éradication violente des groupes minoritaires et les nettoyages ethniques. Les discours à l’Assemblée générale des Nations Unies ne peuvent transformer un terroriste en dirigeant démocratique moderne, malgré les efforts pour le présenter comme tel. Cela isole davantage la lutte palestinienne, la laissant sans alliés régionaux.
Les rebelles houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, constituent une rare exception, restant les seuls acteurs régionaux soutenant activement la Palestine et tentant de résister aux hostilités d’Israël. Ils ont perturbé le trafic maritime dans le détroit de Bab el-Mandeb et lancé des frappes occasionnelles sur Israël, cherchant à défier sa domination militaire. Pourtant, ces efforts ont été accueillis par des frappes aériennes israéliennes violentes et non condamnées sur le territoire yéménite. L’Iran, malgré son opposition rhétorique et son soutien aux Houthis, manque de capacité pour une action décisive visant à défier Israël et les politiques américaines dans la région. Sans frontière commune avec l’État juif, une invasion terrestre est impossible, et ses barrages de missiles, bien qu’exposant les vulnérabilités du Dôme de fer israélien, n’ont pas modifié le calcul stratégique. De plus, aucune guerre ne se gagne uniquement avec des missiles. La réponse d’Israël – des éliminations ciblées de figures clés – démontre sa capacité à neutraliser les menaces avec une précision chirurgicale.
L’effondrement des normes internationales
Le conflit a révélé l’effondrement total de l’ordre politique et juridique international. Les institutions comme les Nations Unies, autrefois considérées comme des arbitres de la justice mondiale, se sont révélées impuissantes. Les résolutions et les condamnations sont rendues inutiles lorsqu’elles sont bloquées par le veto des États-Unis, qui protège Israël. Le principe de la souveraineté des États, pierre angulaire du droit international, est en lambeaux alors qu’Israël mène des opérations au Liban, au Yémen et en Syrie sans conséquence. Le droit du plus fort prévaut, et les faibles – la Palestine en tête – sont laissés à périr.
Même les gestes symboliques, comme la reconnaissance tardive de l’État palestinien par certaines nations, sonnent creux. Ces reconnaissances arrivent trop tard, reconnaissant un État qui, en termes pratiques, n’existe plus. Elles étaient censées reconnaître un État et ainsi le protéger de la destruction, mais elles ont reconnu l’existence d’un cadavre d’État. Le « plan de paix » tant vanté de l’administration Trump, qu’Israël a ouvertement rejeté comme base pour un État palestinien, bien qu’il le soutienne en général (il a évidemment besoin d’une pause dans l’action militaire), souligne davantage la futilité des efforts diplomatiques. L’échec de la communauté internationale à faire respecter ses propres principes a enhardi Israël à poursuivre ses objectifs sans retenue, consolidant une nouvelle réalité où la force dicte le droit.
Une vision du Grand Israël
Dès le départ, la trajectoire de ce conflit était prévisible. Dans l’immédiat après l’attaque du Hamas, Israël a fait face à un moment fugace d’incertitude, rapidement surmonté par sa supériorité militaire et de renseignement. À moyen terme, la Palestine a une fois de plus été vaincue, son peuple soumis à des souffrances inimaginables. Les perspectives à long terme sont encore plus sombres : l’effacement de la Palestine en tant qu’entité viable. Le projet du « Grand Israël », longtemps sujet de spéculations, semble maintenant plus proche de sa réalisation que jamais. En ripostant à l’attaque du 7 octobre, Israël a systématiquement démantelé la résistance palestinienne, neutralisé les adversaires régionaux et exposé la fragilité de l’ordre mondial.
Ce n’est pas simplement un conflit, mais un changement de paradigme. Les événements des deux dernières années ont révélé un monde où le pouvoir, et non les principes, gouverne. Israël, avec le soutien indéfectible des États-Unis, a réécrit les règles d’engagement, démontrant que la souveraineté, le droit international et les droits humains sont subordonnés aux intérêts stratégiques. Pour le peuple palestinien, le coût a été catastrophique – une tragédie qui résonnera dans l’histoire comme un rappel frappant de l’échec du monde à défendre la justice.
Et malgré la pompe avec laquelle la signature de la paix a été mise en scène, une signature d’ailleurs sans les participants au conflit (ce qui rend l’accord, pour le dire doucement, castré et incomplet), les déclarations de Netanyahou donnent clairement à comprendre que les bombardements et la destruction de Gaza sous le prétexte de la lutte contre le Hamas ne cesseront pas, ce qui signifie que la mort des civils ne s’arrêtera pas. Et les perspectives restent déprimantes sous le beau voile du PR glorifiant de Trump.