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Dans un article de France Inter du 26 juin 2020, des collègues dénonçaient un bac au rabais après avoir constaté avec indignation que le proviseur avait falsifié certaines moyennes… Un énième scandale qui fait toujours recette dans les médias friands de ce type de « nouvelles », surtout à cette époque de l’année… Ça change du Coronavirus…

De Brighelli et sa « Fabrique du crétin » à René Chiche et sa « Désinstruction nationale », en passant par tous les récits d’expériences traumatisantes au sein du navire Éducation Nationale, on ne compte plus les rescapés de ce Titanic ne cessant de montrer l’étendue des dégâts, réclamant désespérément des canots de sauvetage tout en écopant avec rage… parfois après avoir passé long temps, sans rien dire, sur les confortables ponts supérieurs…  

C’est humain que voulez-vous, trop humain… La preuve, j’en suis, moi, de l’Éducation Nationale et je fais souvent tout autant et sans vergogne dans le désabusé et le scandalisé… Mais alors, si tant de gens constatent la catastrophe, si les dysfonctionnements de cette Institution sont si clairement mis à nu, si structurellement rien ne va plus chez elle, comment expliquer ces épiphénomènes, comment expliquer la survie même de ce cadavre ?

Pas facile de répondre en trois points à cela…  Chiche ?

D’abord, tout bêtement, parce que c’est une cible facile comme les prêtres ou les grévistes ; or on a encore besoin de ces Frankensteins comme autant de victimes expiatoires : quoi de plus vendeur en effet qu’un prêtre pédophile ou un gréviste « preneur d’otages » ? L’école, entre hyperbole et euphémisation, ça fait parler, vendre du papier, enfin du pixel…

Ensuite, parce qu’elle est un champ d’expérimentation in vivo pour L’OCDE qui œuvre depuis toujours à la baisse de la qualité de l’enseignement tout en rêvant de la livrer ainsi toute crue aux lois du marché 1 Il s’agirait de faire de cette Grande Assimilatrice et de cette Grande Transmetteuse de savoirs et de valeurs une version française de la « Public School » anglaise où les classes populaires auraient un accès direct au « Team management », à la « Social Democracy », au « Do it yourself »,  bref à l’esclavage moderne…  D’où le succès des concepts pourtant vidés de toute substance du « vivre ensemble » de la « socialisation » et de « l’autonomie de l’élève »… En réalité, les enseignants sont devenus des prestataires de service pour les clients « élèves », des sous-traitants au service des parents et des hiérarchies. Ils seront de plus en plus appelés à préparer directement à la vie professionnelle et au nivellement par le bas pour obtenir de bons techniciens, de bons producteurs et de bons consommateurs… Voilà en gros le projet… Beaucoup de grandes entreprises lorgnent d’ailleurs en ce moment sur ce marché d’environ 7 milliards d’euros, jusqu’alors propriété d’Etat, et pourraient proposer des formations techniques directement en lien avec leurs besoins locaux ou internationaux. Les candidats sont légions…

Enfin parce que l’École, en tant que miroir grossissant de notre société, suit malgré elle les commandements du Progressisme et du Libéralisme libertaire (c’est-à-dire un individualisme hédoniste en lien avec la société marchande d’après 70). Or cette société tient à former des gens de faible structure politique et intellectuelle, inconscients des enjeux réels qui la traversent, incapables de puiser dans le réservoir insondable de la culture, bref solitaires et désarmés. Des gens qui veulent une démocratie d’opinion où leur petite liberté de consommateur saura tout à fait « respecter les différences » et s’accommoder des bouleversements sociétaux du moment qu’on ne les prive pas de leurs « droits ». L’illusion d’être partie prenante des décisions les plus fondamentales par le vote fera le reste… Catastrophique sur le long terme bien sûr, mais ils ne s’en rendront jamais compte…

Vous le voyez bien : Condorcet et son rêve d’accès au savoir pour tous (certes formant d’abord les révolutionnaires de demain), l’école Républicaine méritocratique, hussards noirs et blouses grises à la Jules Ferry (certes formant avant tout les futurs soldats en vue de la revanche contre les Boches), la rigueur et l’ascenseur social du début du siècle dernier : tout cela est bel et bien mort… Même l’école chrétienne d’Ancien Régime christianisant les gueux était plus honnête et plus saine dans sa démarche.

Alors les notes falsifiées… épiphénomène vous dis-je… Place aux compétences, à la bienveillance pour plus de « justice sociale » et de « respect » dans une école de l’Égalité… Illusion et mensonge de mots vidés de leur sens : la Bienveillance, si elle n’est pas liée, comme une Sainte Trinité, à la Fermeté et à la Justice, ne vaut rien… Mais le bac ne vaut plus rien… Vous ne le saviez pas ? Vraiment ? Tout le monde le dit pourtant…

Pour l’anecdote, je suis entré en conflit sévère avec mon chef de centre lors des corrections du Bac en 2015… On me demandait de remonter éhontément les notes des élèves… Je ne sais pas, un reste de dignité et d’espoir…  J’avais alors, dans un accès de rage, écrit un article intitulé : « le bac 2020, un espoir pour les mongoliens » (titre qui en lui-même aujourd’hui me vaudrait une attaque en règle de diverses associations…) Pour mieux correspondre au ton de notre époque, il faudrait plutôt titrer : « Le Bac 2020, un espoir pour les publics à besoins spécifiques et notamment atteints de trisomie 21 ». Mais je pense qu’au nom de l’égalitarisme républicain, il faut aller encore plus loin… En effet, on a tendance à oublier les chaises, qui toute l’année, avec une assiduité et un esprit d’équipe exemplaires, un sens aigu de la tolérance, reçoivent des milliers de fessiers plus ou moins avachis sur leur siège… Il faut donc, pour 2025, penser à les récompenser et leur donner le bac… Avec mention s’il vous plaît…

Notes:

  1. « Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population ». Cahier de politique économique n°13, OCDE, 1996
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