C’est sans doute ce qu’il préfère : le symbole. Le geste. Le clin d’œil d’État. Emmanuel Macron a donc décidé de prêter à l’Angleterre l’un des joyaux les plus précieux de notre patrimoine, la tapisserie de Bayeux, témoin millénaire de la conquête normande. Officiellement, il s’agit d’un « message d’amitié », un pont tendu au-delà du Brexit. En réalité, c’est un acte de dépossession feutrée, de plus, au nom d’une diplomatie de salon qui se joue du bon sens comme de la mémoire.
Un monument de notre histoire transformé en marchandise protocolaire
La tenture du XIe siècle n’a quitté Bayeux que deux fois en mille ans : pour fuir les Anglais sous Napoléon, puis les Allemands sous l’Occupation. Voilà donc qu’on l’emballe une troisième fois, non plus pour la sauver, mais pour faire plaisir. À qui ? À Charles III ? Au British Museum ? À un président en quête d’onction patrimoniale ?
Depuis 2018, le projet traînait dans les tiroirs. Il avait alors déclenché un tollé chez les conservateurs et les experts du patrimoine. Car prêter la tapisserie, c’est prendre un risque majeur pour son intégrité. Cette œuvre de 70 mètres, fragile entre toutes, ne supporte pas les manipulations : vingt personnes furent un jour nécessaires pour la déplacer de quelques centimètres sans la froisser. Mais qu’importe. Le prestige d’un sommet bilatéral vaut bien quelques microdéchirures.
Un chef-d’œuvre sacrifié sur l’autel du « soft power »
Le président persiste. La tapisserie traversera la Manche. Et tant pis si elle n’a pas été restaurée depuis des décennies, malgré les alertes. Tant pis si le maire de Bayeux s’y était opposé, si le musée n’avait ni les moyens ni la garantie d’un retour rapide. Aujourd’hui, tout le monde est prié de se taire. La région, le département, la ville : tous font mine d’acquiescer, pour ne pas froisser l’Élysée.
Le plus ironique, sans doute, est que le musée de Bayeux va être fermé pour rénovation pendant cette période. Un timing parfaitement arrangé, qui permet à l’exécutif de faire coup double : s’acheter une image d’homme de culture à l’international tout en déguisant le départ du chef-d’œuvre en solution pratique.
38 millions d’euros et une mise en scène
Le musée va donc être entièrement repensé. On promet 11 000 m², une lumière calibrée à 50 lux, une température constante, une hygrométrie rigoureuse. Bref, tout ce que la tapisserie n’a pas eu droit pendant des décennies. Le projet coûtera 38 millions d’euros, dont la majeure partie sera financée par les collectivités locales. L’État, lui, se contente d’annoncer qu’il restaurera l’œuvre pour 2 petits millions.
Autrement dit, ce sont encore une fois les contribuables normands qui paieront la note, pendant que le Président, lui, récoltera les lauriers à Londres, sous les flashs.
Une mémoire qui n’est plus la nôtre ?
Faut-il rappeler ce que représente cette tapisserie ? Un récit du destin de la France et de l’Angleterre, à une époque où notre civilisation croyait encore en la grandeur, en la transmission, en l’enracinement. Aujourd’hui, elle est traitée comme un objet de prêt, un jeton de courtoisie diplomatique.
Derrière les discours d’amitié, c’est un vide identitaire qui s’exprime. Une incapacité à défendre ce qui est à nous. Un refus de la singularité au profit du geste creux, sans vision, sans courage.
Le patrimoine n’est pas un décor de gala. Il est ce qui reste quand tout le reste a disparu.
Et cette tapisserie, cousue il y a près de mille ans, méritait mieux qu’un aller-retour de convenance.