L’annulation du premier tour de l’élection présidentielle roumaine a choqué plus d’un Européen. L’intervention télévisée de Thierry Breton qui semblait menacer d’annuler les élections en Allemagne en cas de victoire de l’AFD (« On l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire, si c’est nécessaire, en Allemagne.« ) n’a pas aidé à apaiser la situation. Et forcément, vu de France, l’annulation d’une élection dont est sorti en tête un candidat « nationaliste » a de quoi faire jaser.

Sauf que… sauf que le candidat Georgescu n’est pas n’importe qui. En fin d’année dernière, juste avant les élections, il a réitéré dans une interview son soutien pour l’historique mouvement des « Légionnaires » roumains, autrement appelé la « Garde de Fer », déclarant « Le Mouvement Légionnaire a représenté l’essence et l’expression les plus fortes de la santé et de la volonté propre issues du peuple roumain. »

Imaginez un candidat allemand se revendiquant des SS… Or, c’est exactement la même chose. Răzvan Munteanu, analyste roumain en relations internationales, a publié cette semaine sur le journal Adevărul un récapitulatif de l’histoire de ce mouvement. En voici quelques extraits :

Nous vivons une époque où la citation de Francisco José de Goya, «Le sommeil de la raison engendre des monstres», se matérialise dans notre société. Profitant du contexte socio-politique actuel de notre pays et sous l’égide de M. Călin Georgescu, les partisans de l’idéologie légionnaire tentent de gagner en influence auprès du public roumain en se présentant comme des «sauveurs et défenseurs des valeurs et des intérêts du peuple roumain».

L’histoire nous enseigne une tout autre réalité et, pour éviter sa répétition, il est de notre devoir de rappeler les atrocités commises par le Mouvement Légionnaire en Roumanie.

(…)

Le Mouvement Légionnaire était une organisation nationaliste-fasciste de la Roumanie de l’entre-deux-guerres, devenue parti politique (…) organisé, financé et dirigé avec le soutien de l’organisation nazie paramilitaire SS.

Le fondateur du mouvement en Roumanie était Corneliu Zelea Codreanu, surnommé «Le Capitaine», qui a fondé en juin 1927 le mouvement nationaliste «Légion de l’Archange Michel», ayant pour doctrine le renouveau spirituel et moral de la société roumaine, et qui, en 1930, a changé son nom en «Garde de Fer».

(…)

Selon le rapport final de la Commission internationale pour l’étude de l’Holocauste en Roumanie (2004), près de 2 000 Juifs des deux sexes et de différents âges (entre 15 et 85 ans) ont été détenus arbitrairement puis conduits dans 14 centres de torture de la Légion (postes de police, préfecture de Bucarest, siège de la Légion, ferme de Codreanu, mairie de la commune de Jilava, bâtiments juifs occupés, abattoir de Bucarest). Au total, 125 Juifs ont été tués lors du pogrom de Bucarest et, en plus des assassinats et des tortures, les légionnaires ont procédé à des viols en masse de femmes juives, parfois même sous les yeux de leurs familles.

L’abattoir de Bucarest a été le lieu des tortures les plus atroces, où, selon le rapport, les victimes étaient suspendues par la nuque à des crochets alors qu’elles étaient encore en vie, permettant aux tortionnaires d’exécuter des techniques de torture.

Un autre centre de torture était le siège du Corps des Travailleurs Légionnaires (CML) «Ingénieur G. Clime», où des centaines de personnes ont été torturées et des dizaines de femmes et d’hommes ont été abattus. Les équipes du CML ont sélectionné 90 Juifs (parmi les 200 torturés dans les centres de torture du CML) et les ont transportés en camion dans la forêt de Jilava, où ils ont été abattus. 86 cadavres ont été retrouvés étendus dans la neige de cette forêt, et les bouches de ceux qui avaient des dents en or étaient mutilées.

De plus, les légionnaires ont attaqué toutes les synagogues, ont brûlé des livres saints et ont détruit des biens appartenant à la communauté juive.

(…)

Aujourd’hui, nous assistons à une tentative de réhabilitation de l’image du Mouvement Légionnaire, certains allant jusqu’à présenter ses membres comme des «martyrs» ou des «héros nationaux». Cette tendance est non seulement une insulte à la mémoire des victimes des atrocités légionnaires, mais aussi un danger réel pour la société roumaine contemporaine.

L’annulation d’une élection fait bondir les démocrates. Mais la possibilité de l’accession au pouvoir d’un thuriféraire d’un mouvement financé par les SS devrait, a minima, inquiéter les mêmes démocrates.

Le patriotisme est une vertu. L’utiliser pour promouvoir des crimes politiques (et de droit commun) est un cancer qui doit être éradiqué.