La justice selon Darmanin, ou l’art de bricoler l’État

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Cela aurait pu être un sketch. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, évoquant au micro une idée lumineuse : transformer des Ehpad désaffectés en prisons. Ou pourquoi pas, pendant qu’on y est, louer des cellules en Espagne ou en Allemagne. Manquait plus que la location saisonnière de cellules sur Airbnb et le tableau était complet.

Mais non. Il ne plaisantait pas.


La prison, dernière frontière du réel

La surpopulation carcérale en France n’est pas un scoop : 83.000 détenus pour 62.500 places. Des cellules bondées, des matelas au sol, des surveillants épuisés. Une situation digne d’un pays en faillite morale. Mais au lieu de parler construction, sévérité, fermeté, l’exécutif parle bricolage. Et ce bricolage vire à la pantalonnade.

Louer des cellules à l’étranger ? Une idée déjà illégale en l’état du droit constitutionnel français. Réquisitionner des bâtiments vides ? Une chimère administrative dans un pays où la moindre rénovation de commissariat prend six ans et trois commissions de sécurité. On murmure même l’usage de préfabriqués. Bientôt, les délinquants les plus violents seront hébergés dans des Algeco.

La fermeté dans les mots, la faiblesse dans les actes

Car il y a un gouffre, que dis-je, un canyon, entre le discours martial affiché par Gérald Darmanin après les émeutes de 2025 et la réalité pénitentiaire du pays. D’un côté, il tonne contre les trafiquants et les multirécidivistes. De l’autre, il signe des circulaires incitant à ne plus incarcérer pour les petits délits – qui, on le sait, sont souvent la première marche vers des actes bien plus graves.

Le tout assaisonné de cette vieille rengaine technocratique : “la probation”, “les aménagements de peine”, “les alternatives à l’enfermement”. Bref, la fin de la peine réelle, au profit d’une gestion statistique du crime.

Une magistrature humiliée, une pénitentiaire épuisée

Pour rattraper le coup, le ministre promet de faire de l’administration pénitentiaire une direction générale, au même niveau que la magistrature. Comme si un changement de titre allait résoudre la crise. Pendant ce temps, les surveillants tirent la sonnette d’alarme, les syndicats prédisent l’embrasement estival, et certains établissements – Perpignan, Villeneuve-lès-Maguelone – frôlent déjà l’émeute.

Mais Darmanin continue d’avancer, à grands coups de « task force », de réunions avec les procureurs, de promesses vides. Il gère la justice comme un portefeuille de communication : chaque jour une idée, chaque semaine un rafistolage, chaque mois un nouvel aveu d’impuissance.

L’État qui n’a plus les moyens de punir

Le constat est plus profond, plus accablant : l’État ne sait plus punir. Il menace, il annonce, il promet, il légifère. Mais il ne construit pas. Il ne suit pas. Il ne tient pas. La prison n’est plus un lieu de réparation, ni de dissuasion. C’est devenu une variable d’ajustement. Une option. Une honte discrète.

Et pourtant, la demande de justice n’a jamais été aussi forte. L’opinion, loin des jeux de langage de Place Vendôme, réclame des réponses claires : que ceux qui menacent, volent, frappent ou récidivent soient mis hors d’état de nuire. Non dans dix ans, non au rythme d’un chantier à rallonge, mais maintenant.

Le pouvoir joue avec des allumettes dans une poudrière

Les chiffres sont là : 1.000 détenus en plus tous les trois mois. Des peines qui s’allongent. Une délinquance qui ne recule pas. Une opinion chauffée à blanc. Et des réponses gouvernementales dignes d’un épisode de “C’est pas sorcier” : recyclage de vieux Ehpad, algorithmes de placement, “police de la probation”. Tout sauf la solution centrale : bâtir des prisons et appliquer les peines.

Encore faut-il croire à la sanction. Croire à l’État. Croire à l’autorité. En un mot : assumer le régalien.

Et ce n’est pas dans un couloir de maison de retraite ou une cellule louée à Düsseldorf que la France restaurera ce qu’elle a abandonné depuis trop longtemps : le respect.

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