Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, tire la sonnette d’alarme. Dans un entretien relayé ce week-end par Médiapart, le magistrat s’inquiète d’un prétendu « populisme anti-judiciaire ». En clair : ceux qui osent critiquer certaines décisions de justice seraient les nouveaux ennemis de la République. Une défense corporatiste de la magistrature ? Ou une manière bien commode d’éviter le débat démocratique ?
Ce discours n’a rien d’anodin. En accusant pêle-mêle responsables politiques, professeurs de droit et anciens magistrats d’alimenter une défiance envers la justice, Soulard tente de verrouiller l’espace public : silence dans les rangs, la justice parle. Pourtant, il ne fait que constater une évidence : une large partie de l’opinion ne comprend plus — ou n’accepte plus — certaines décisions de ses juges.
Car de quoi parle-t-on ? De peines jugées trop légères après des violences urbaines. De sursis systématiques pour des récidivistes. De condamnations politiques — celle de Marine Le Pen, en avril dernier, n’a échappé à personne. Et quand un ministre ose dire que « ce n’est plus à la hauteur », comme l’a fait Gérald Darmanin, les robes rouges crient à l’atteinte à leur indépendance. Intouchables, vraiment ?
Le magistrat, quant à lui, esquive. Il rappelle que « le juge applique la loi », une loi qui, selon lui, serait « l’expression de la souveraineté populaire ». Mais de quelle souveraineté parle-t-on, quand des principes flous invoqués par les tribunaux — dignité, égalité, droit à — viennent neutraliser des lois votées ? Quand des décisions rendues en « urgence » viennent contrecarrer des mesures de sécurité publique ? La justice n’est plus une autorité, elle devient une idéologie.
Et voici que Soulard s’élève contre « l’automaticité des peines », ce serpent de mer agité par une droite coupable de vouloir protéger les honnêtes gens. Enfermer un casseur ou un voyou serait risqué, dit-il, car cela pourrait le couper de son emploi ou l’exposer à la mauvaise influence des prisons. On croit rêver : pour ce haut magistrat, la prison serait plus dangereuse que l’impunité. La justice, elle, ne peut « tout réparer », affirme-t-il — ce qui revient à dire qu’elle n’a même plus à punir.
Son collègue Rémy Heitz avait déjà tenté de calmer le jeu en appelant à « laisser les juges travailler dans la sérénité ». Mais quelle sérénité, quand ceux qui rendent la justice refusent toute critique, toute réforme, toute remise en cause ? Quelle sérénité, quand ils confondent autorité judiciaire et autorité morale ?
Ce discours de prétoire, en réalité, révèle un malaise plus profond : celui d’une justice déconnectée, autoréférentielle, coupée du réel. Une justice qui se rêve rempart contre les passions populaires, mais qui finit par apparaître comme une caste repliée sur elle-même. Et si le populisme anti-judiciaire n’était que la réponse logique à un certain jupitérisme judiciaire ?