Jérôme Fourquet : « La vie politique est une pièce de théâtre totalement décalée se jouant devant une salle vide »

Photo : Daniel Bernard

La chute de François Bayrou, renversé par l’Assemblée nationale après avoir sollicité la confiance, n’est pas un simple accident de parcours. Pour Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop et auteur de Métamorphoses françaises (Seuil, 2024), c’est le symptôme d’une crise profonde, où se mêlent dette insoutenable, éclatement partisan et fatigue démocratique. Dans un grand entretien accordé au Figaro, il dresse un constat implacable.

La dette, le nœud coulant qui étrangle l’État

« Depuis 1973, le budget de l’État français est chaque année en déficit », rappelle Fourquet. Cinquante-deux ans d’endettement continu qui font du remboursement de la dette « le premier poste de dépense de l’État ». Une spirale budgétaire devenue un véritable nœud coulant, réduisant à néant toute marge de manœuvre politique.


La succession des dissolutions, censures et votes de défiance n’est, selon lui, que la conséquence de cette réalité implacable : « Michel Barnier a été censuré sur son budget, François Bayrou s’est vu refuser la confiance sur un plan d’économies budgétaires. » La politique, ramenée à la comptabilité.

Une tripartition ingouvernable

Au poids de la dette s’ajoute un paysage politique éclaté. Le président de la République est impopulaire – 24 % de satisfaits seulement, soit son plus bas niveau depuis la crise des Gilets jaunes. Mais contrairement aux années 1980 ou 1990, quand l’impopularité présidentielle se traduisait par une majorité claire pour l’opposition, l’équation est désormais insoluble.

« Face à un camp présidentiel nettement minoritaire se dressent non plus une, mais deux oppositions : le Nouveau Front populaire et le RN », analyse Fourquet. Une tripartition sans coalition possible, où chaque bloc refuse de gouverner avec les deux autres. Résultat : une « situation inextricable ».

L’archipel français et la fin des repères

Pour Fourquet, cette impasse reflète l’« archipellisation » de la France. La vieille opposition gauche-droite, structurée par les clivages religieux et sociaux, s’est fissurée sous l’effet de nouvelles lignes de faille : immigration, Europe, mondialisation.

« Ces fractures ont traversé les deux blocs historiques, comme l’avaient montré les référendums de Maastricht en 1992 et de 2005 sur la Constitution européenne. » De là est né le bloc central macroniste, cimenté par l’idéologie européenne, mais incapable de dominer durablement.

Le grand désenchantement démocratique

Au désordre institutionnel s’ajoute une lassitude massive. « L’incapacité des gouvernements à traiter les problèmes de base – hôpital, école, délinquance, pouvoir d’achat –, la valse des ministres et le blocage parlementaire ont généré une grande exaspération », explique Fourquet.

La sanction est claire : « Aujourd’hui plus aucune personnalité politique évaluée dans notre baromètre ne peut se targuer d’une popularité supérieure ou égale à 50 %. » Autrement dit, aucun leader crédible ne se détache.

Et la désaffection est spectaculaire : les émissions politiques s’effondrent en audience, les universités d’été des partis ne rassemblent plus personne, les déplacements ministériels se déroulent devant des notables indifférents et quelques journalistes régionaux. D’où cette formule cinglante : « La vie politique est une pièce de théâtre totalement décalée se jouant devant une salle vide. »

Le retour des boomers, symptôme d’un système épuisé

Autre signe de décalage : la résurgence des figures âgées. Villepin, Hollande, Barnier, Borloo, tous septuagénaires, tentent un ultime retour. Pour les Français interrogés par l’Ifop, cette incapacité à décrocher du pouvoir fait penser « au précieux anneau du Seigneur des anneaux, rendant fou et addict au pouvoir tous ceux qui l’ont touché ». Une métaphore cruelle mais révélatrice.

Retailleau, nouvel espoir de la droite ?

Le seul à tirer son épingle du jeu est Bruno Retailleau. Entré au gouvernement en septembre dernier comme ministre de l’Intérieur, il a vu sa cote grimper de 34 % à 41 %. Ses positions fermes sur l’immigration, la laïcité et le narcotrafic en ont fait « la figure dominante chez Les Républicains ».

Mais la comparaison avec Sarkozy, autre ministre de l’Intérieur devenu président, reste illusoire. « Nicolas Sarkozy était resté vingt et un mois Place Beauvau, avec 57 % de popularité à son départ. Si Bruno Retailleau partait maintenant, il n’y serait resté que onze mois, trop peu pour marquer les esprits. » De plus, LR est aujourd’hui surclassé par le RN, ce qui rend impossible le siphonnage d’autrefois.

L’impasse politique totale

Quelles solutions après Bayrou ? Fourquet n’en voit aucune crédible. Un Premier ministre issu du bloc central ? « Mission foutue pourrie d’avance. » Un socialiste ? « Attaqué de toutes parts. » Dissolution ? « Elle ne déboucherait sur aucune majorité. »

Les Français le savent : selon une enquête Ifop pour LCI, 68 % considèreraient que, dans ce cas, Emmanuel Macron devrait lui-même démissionner.

Une crise sans sortie

La conclusion de Fourquet est sans appel : le pays est enfermé dans une double impasse – budgétaire et politique. La dette interdit toute marge de manœuvre, la tripartition bloque toute majorité. Résultat : une démocratie épuisée, un peuple désabusé, un théâtre politique déserté.

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