Islamisme : l’effrayante fracture générationnelle

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Les chiffres publiés par l’Ifop dessinent une réalité que beaucoup pressentaient, mais que peu osaient formuler clairement : une partie significative de la jeunesse musulmane française glisse vers une vision rigoriste de l’islam, et, pour une fraction non négligeable, vers une sympathie assumée pour l’islamisme. Non plus l’islam traditionnel, discret, souvent ancré dans les cultures familiales ; mais un islam dur, militant, revendicatif, qui place la charia au-dessus des lois de la République.

À lire les résultats de l’enquête, conduite de 1989 à aujourd’hui, le contraste entre générations frappe immédiatement. Les musulmans âgés de 15 à 24 ans affichent des niveaux d’orthopraxie et de radicalité qu’on ne retrouvait jusqu’ici que dans certains pays du Golfe ou dans les mouvances intégristes internationales. La France découvre, stupéfaite mais bien tardivement, qu’une partie de sa jeunesse musulmane ne se contente plus de vivre sa foi : elle veut la faire primer sur l’ordre républicain.


Une religiosité qui explose chez les jeunes

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En trente-six ans, la fréquentation de la mosquée chez les moins de 25 ans a été multipliée par près de six, passant de 7 % en 1989 à 40 % aujourd’hui. Le respect strict du ramadan atteint 83 % chez les 15-24 ans. Le port du voile bondit à 45 % chez les jeunes femmes, contre 16 % en 2003. Des données qui montrent une rupture nette avec leurs aînés, beaucoup plus proches d’une pratique religieuse modérée.

Ce n’est pas seulement un renouveau spirituel. C’est une affirmation identitaire farouche, nourrie par l’idée, largement répandue dans cette tranche d’âge, que la société française serait hostile à l’islam. Ce sentiment alimente la construction d’un entre-soi culturel et religieux où la rupture avec le monde environnant devient une norme.

La tentation islamiste : un seuil inquiétant

Plus préoccupant encore : 42 % des jeunes musulmans interrogés déclarent éprouver de la sympathie pour l’islamisme. Ce chiffre doublait déjà la proportion enregistrée en 1998. Le phénomène ne touche plus seulement une marge radicalisée, mais s’enracine au cœur d’une génération entière.

Cette bienveillance se porte d’abord sur les Frères musulmans : un tiers des moins de 25 ans voit ce courant d’un œil favorable. L’attrait pour les mouvances rigoristes — salafisme, wahhabisme, tabligh — reste minoritaire en chiffres absolus, mais sa progression est constante depuis vingt ans.

Le djihadisme récolte peu de soutien direct, mais bénéficie d’une zone grise inquiétante : 24 % des musulmans s’y déclarent « indifférents ». Une indifférence qui, dans un pays marqué par le terrorisme islamiste, dit beaucoup sur le détachement émotionnel d’une partie de la population face à la violence politique.

Rejet de la mixité et primauté de la charia

L’un des points les plus sensibles révélés par l’étude concerne les rapports sociaux. Plus de la moitié des jeunes musulmanes refusent de serrer la main d’un homme ou de se faire soigner par lui. Un jeune musulman sur deux refuse de faire la bise à une personne de l’autre sexe. Le rejet de la mixité progresse visiblement depuis 2016, année charnière marquée par l’épopée de Daech, dont les répercussions symboliques restent fortes.

La tendance la plus explosive est toutefois celle-ci : 57 % des 15-24 ans estiment que la loi française passe après les règles de l’islam. Autrement dit : pour une majorité de jeunes musulmans, la République n’est plus la norme suprême. Elle devient un cadre secondaire, modifiable, contestable, inférieur à la loi religieuse.

On mesure ici l’ampleur de la rupture.

Retour en arrière sur la modernisation de l’islam

L’enquête montre également un effondrement spectaculaire du souhait de voir l’islam se moderniser. En 1998, 41 % des jeunes musulmans y étaient favorables. Ils ne sont plus que 12 % aujourd’hui. Une chute vertigineuse en une génération.

Les grandes fédérations officielles de l’islam de France — déjà affaiblies par leurs divisions internes — apparaissent désormais marginales pour cette jeunesse qui les juge trop tièdes, trop conciliantes, trop insérées dans le cadre républicain.

Le rôle clé des années 2016-2019

Plusieurs courbes se croisent dans ces années-là : bond de la pratique religieuse individuelle, montée du port du voile, hausse du jeûne du ramadan, recul de la consommation d’alcool, progression du rigorisme dans les comportements sociaux. Tout indique qu’un basculement s’est produit dans ces années où l’État islamique occupait une place centrale dans l’imaginaire mondial — fascination, effroi, mais aussi influence culturelle diffuse.

Un phénomène sociologique et identitaire

L’Ifop souligne que cette hyper-religiosité ne concerne pas uniquement les musulmans. On observe une remontée des pratiques exigeantes dans plusieurs religions. Mais l’ampleur du phénomène musulman est sans commune mesure.

Chez les moins de 25 ans, 67 % prient au moins une fois par jour. Une proportion qui dépasse tout ce que l’on connaît dans les autres traditions religieuses présentes en France.

Ce que révèle ce basculement

Il ne s’agit pas d’un « grand remplacement » démographique, précise l’Ifop : les musulmans représentent environ 7 % de la population. Mais le lien entre cette croissance et l’adhésion décroissante aux valeurs républicaines pose une question lourde : une partie de cette jeunesse, confrontée à une société qu’elle juge hostile, construit un rapport à la France non pas conflictuel, mais parallèle.

Un monde normatif différent, un référentiel moral distinct, une loyauté prioritaire à la religion sur la nation. C’est cela, le cœur du problème.

Un avenir trouble

L’étude conclut que le processus de réislamisation ne faiblira pas, mais s’amplifiera à mesure que les nouvelles générations remplaceront les anciennes. Rien ne montre, pour l’heure, un mouvement inverse. Les indicateurs convergent tous : religiosité, identitarisme, rejet de la mixité, primauté de la charia, bienveillance envers l’islamisme.

Il s’agit, pour reprendre les mots de l’Ifop, d’un phénomène « préoccupant », qui bat en brèche l’idée — répétée depuis trente ans — selon laquelle l’islam de France suivrait naturellement la courbe de sécularisation générale.

Si rien ne vient inverser cette tendance, la France devra affronter une situation où deux visions du monde s’affronteront de plus en plus frontalement : celle d’une République laïque, universaliste, et celle d’une jeunesse musulmane pour qui la religion représente la loi supérieure, le cadre de vie, l’identité principale.

Le temps où l’on pouvait ignorer cette fracture est désormais révolu.

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