Voyage au bout de la nuit est un roman universellement reconnu comme une oeuvre majeure. Il ne viendrait à personne de sain d’esprit l’idée d’en arrêter la diffusion sous prétexte de la personnalité trouble de son auteur.

On n’arrête pas non plus la diffusion des films de Polanski, on affiche partout les tableaux de Gauguin, et c’est normal. Pour une raison simple : on ne confond pas l’oeuvre et son auteur. Et s’il fallait éradiquer les chefs d’oeuvres produits par des salauds ou des criminels, le capital artistique du monde entier serait soudain fort réduit.

Or, depuis cette semaine, la radio publique britannique BBC2 ne diffuse plus les tubes de Michael Jackson, en réaction à la diffusion d’un documentaire l’accusant de pédomanie.

J’entends déjà mes lecteurs : « Jackson, on s’en moque ! » Oui, peut-être, mais c’est une erreur. Car des décisions de ce type ne s’arrêteront pas à Bambi. Il y a désormais un mélange terrible fait entre des actions ou des opinions (réelles ou supposées, d’ailleurs – plus personne ne semblant concerné par la présomption d’innocence) et la possibilité pour leurs auteurs d’avoir ne serait-ce qu’un job. On a viré Kevin Spacey de House of Cards parce qu’il est accusé. Même pas encore jugé. On a retourné des scènes entières d’un film pour le remplacer. Comment ceci est-il justifiable ?

Mais il y a pire : partout désormais (et d’abord aux Etats-Unis, mais ça arrive chez nous aussi), on chasse les opinions divergentes de la doxa obligatoire et on bannit ceux qui les expriment. Souvenez-vous de cet ingénieur inconnu de chez Google qui fut viré comme un malpropre pour avoir émis des doutes sur la pertinence de la politique de genre du géant informatique.

Virer Jackson de la playlist de la BBC, ça nous concerne tous, car c’est curieusement exactement le même processus de « nettoyage » qui fait qu’on peut être viré de son job pour avoir émis une opinion non politiquement correcte. Jackson était peut-être un prédateur d’enfants, ce qui est tout là-haut dans les sommets de l’horreur et du crime, mais sa musique n’a absolument rien à y voir. Ne pas diffuser Thriller, c’est exactement entrer dans le cadre de ce proverbe anglo-saxon : « Two wrongs don’t make a right ». Et puis, une chanson, ce n’est pas qu’un chanteur. C’est une tonne d’ayant-droits. Et je ne vois pas pourquoi Steve Porcaro, Quincy Jones, Greg Philinganes, etc. devraient voir leurs revenus pâtir des crimes de Michael Jackson.

De grâce, construisons une cloison infranchissable entre les oeuvres et leurs auteurs.

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