Alors que le rapport gouvernemental présenté en Conseil de défense le 21 mai 2025 alerte sur la progression de « l’islamisme municipal » en France, une étude fouillée du think tank Le Millénaire, signée Lisa Guilcher, exhorte les autorités à s’inspirer des stratégies implacables adoptées par plusieurs régimes arabes face aux Frères musulmans.

Une menace idéologique identifiée

Le rapport gouvernemental sur les Frères musulmans, dévoilé le 21 mai 2025, marque un tournant dans la politique française vis-à-vis de l’islamisme politique. Pour Lisa Guilcher, analyste au Millénaire, il est temps de dépasser les postures ambiguës et de tirer les leçons d’un combat déjà mené — et souvent gagné — dans plusieurs pays arabo-musulmans, notamment les Émirats arabes unis, l’Égypte ou encore l’Arabie saoudite.

Aux origines du « frérisme »

Fondée en 1928 en Égypte par Hassan al-Banna, la Confrérie des Frères musulmans naît d’une crise identitaire du monde sunnite après l’abolition du califat ottoman. Elle propose une doctrine totalisante : l’islam comme système complet régissant la vie individuelle, sociale et politique. Enracinée dans les quartiers populaires, la confrérie séduit par son discours panislamique et sa capacité à pallier les carences de l’État via un dense réseau éducatif, religieux et caritatif.

Du soutien pragmatique à la répression frontale

Les monarchies du Golfe, dans les années 1950-1980, accueillent les Frères musulmans en raison de leur opposition au nationalisme nassérien et de leur compétence technique. Mais ce partenariat de circonstance se transforme en défi sécuritaire. Dès les années 1990, la rupture est consommée. L’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis classent la confrérie comme organisation terroriste. Le coup d’État contre Mohamed Morsi en 2013, et les Printemps arabes qui s’ensuivent, précipitent une répression généralisée.

Une « guerre totale » en quatre piliers

L’étude du Millénaire identifie quatre axes majeurs dans cette stratégie d’éradication :

  1. Répression judiciaire et politique : arrestations massives, procès collectifs, peines de mort, exil forcé des cadres. Exemple emblématique : la loi syrienne de 1980 condamnant à mort tout membre de la confrérie.
  2. Démantèlement du maillage associatif et éducatif : fermeture des ONG, nationalisation des écoles, reprise en main des mosquées, surveillance algorithmique des contenus numériques.
  3. Dé-légitimation idéologique : contre-discours promu par les États via Al-Azhar ou les ministères des affaires religieuses, campagnes médiatiques, assimilation au terrorisme.
  4. Bloc régional anti-frériste : pression sur les pays d’accueil (Turquie, Royaume-Uni), coopération sécuritaire, embargo diplomatique contre le Qatar accusé de soutien actif.

Un succès stratégique… mais à quel prix ?

La stratégie de « guerre totale » a, selon l’analyse, produit des résultats tangibles : disparition de la confrérie comme force politique structurée, fragmentation de ses réseaux, effondrement des partis affiliés comme Ennahdha en Tunisie ou le Parti Justice et Développement au Maroc. Néanmoins, Guilcher note que l’idéologie frériste, bien que marginalisée, subsiste dans certaines diasporas ou franges conservatrices de la jeunesse.

Et la France dans tout cela ?

Le rapport propose un véritable manuel d’action pour l’Europe, et notamment la France, face à ce qu’il qualifie d’« islamisme rampant ». Parmi les préconisations :

  • Cartographier les réseaux fréristes implantés sur le territoire,
  • Conditionner les subventions associatives à une stricte neutralité religieuse,
  • Interdire les structures à visée politico-religieuse,
  • Expulser les prêcheurs étrangers radicaux,
  • Mettre en place une stratégie idéologique de long terme autour de la formation des imams et de la promotion d’un islam loyaliste.

Un appel à sortir de l’angélisme

Le rapport critique la naïveté européenne, notamment française, dans les années 2010, lorsque les Frères furent perçus comme un rempart modéré face au salafisme. Cette illusion, selon Lisa Guilcher, a permis à la confrérie de tisser des liens profonds avec certaines collectivités locales et de bénéficier de financements publics, parfois via des relais comme Qatar Charity.

Un enjeu de souveraineté et de cohésion

« Ce n’est pas l’islam en tant que foi qui est visé », précise l’auteure, « mais le projet politique porté par une organisation qui instrumentalise la religion pour bâtir une contre-société. » Pour elle, seule une doctrine assumée de containment international et de confinement national permettra de faire face. L’enjeu, insiste-t-elle, est rien de moins que la survie du modèle républicain.