L’historien, spécialiste de la Shoah et de l’antisémitisme, avait dirigé en 2002 l’ouvrage collectif Les Territoires perdus de la République, livre alertant sur la situation dans les banlieues. Il a répondu à quelques questions de nos confrères du FigaroVox. Extraits :

Étudiant depuis trente ans l’hyperviolence de préadolescents dont il avait la charge dans son service hospitalier, le pédopsychiatre Maurice Berger a remarquablement analysé ces sociétés qui fonctionnent au «code de l’honneur» et d’où sont issus un grand nombre de ces garçons habités par un sentiment de toute-puissance et d’absence de limites. Et dont la folie rencontre celle d’un monde dont le consumérisme sans limites paraît être la seule transcendance.

Dans Le Harem et les Cousins, l’ethnologue Germaine Tillion écrivait à propos des sociétés maghrébines : «Le garçon – mais plus particulièrement le fils aîné – est un roi fainéant autour duquel convergent les attentions serviles de toutes les femmes de la famille, de 6 à 80 ans. Moyennant quoi, il doit être en permanence une sorte de Cid Campeador, continuellement disposé à égorger tous les hommes et à violer toutes les femmes. (…). En attendant la démonstration, la pression sociale monte régulièrement autour de lui, jusqu’à devenir insoutenable ; elle est d’abord familiale, puis toute la ville s’en mêle.»

Germaine Tillion évoquait l’antinomie entre une «société des cousins» et une «société des citoyens», un affrontement que l’émigration met en lumière quand le «code de l’honneur» heurte frontalement notre culture démocratique. Un choc aggravé par la vision du gouffre qui sépare le discours vainqueur de l’islam d’une réalité géopolitique marquée par d’innombrables échecs. À commencer, par celui, massif, de l’Algérie indépendante.

Sur ce terrain d’analyse, les accusations de racisme pleuvent. Répétées ad nauseam, elles vont non seulement dévoyer le combat de l’antiracisme, mais aussi condamner ce pays à une atrophie du débat public. Nous n’avons pas fini de payer ce mutisme quand pour prévenir le risque de «racisme» («ne pas faire le jeu de l’extrême droite»), cet antiracisme dévoyé a jeté un voile sur des pans entiers d’une réalité sociale qu’on s’interdit de penser, et quand, pour «ne pas stigmatiser des gens déjà stigmatisés» (sic), on travestit la réalité présente et on trafique le passé historique.

Le chantage à l’extrême droite a rendu impossible la peinture vraie de la réalité française. On taira donc le sort fait dans les cités aux jeunes filles, aux femmes célibataires ou divorcées, on taira l’identité des auteurs des viols collectifs («tournantes»), on gardera un silence gêné à l’évocation du racisme antinoir, antirom et antiasiatique, et de l’antisémitisme, véritable bain culturel d’une partie de ces milieux. On taira dans un silence gêné le départ (la fuite?) de 90 % des juifs de Seine-Saint-Denis en moins de vingt ans. Puis, passé le périphérique et portée par la distinction propre aux «quartiers corrects», on dissertera à l’infini sur nos «valeurs démocratiques».

Que pensez-vous des politiques publiques qui ont été menées. Les plans banlieue n’ont-ils servi à rien?

(…) Comme on a fait taire aussi toute parole dissidente. Des milieux sociaux culpabilisés de vouloir persister dans leur être et qui, très tôt, ont vu dans cette immigration de peuplement qu’ils côtoient au jour le jour, une menace existentielle sur leur identité quand ils ont le sentiment d’avoir été dépossédés de toute maîtrise sur leur destin. Leur identité: leurs habitudes de vie, leurs références culturelles, tout simplement leur France à laquelle l’attachement qu’ils lui vouent est grimé en «racisme». En face, drapé dans la posture du bien, cet antiracisme-là participe à la déconsidération des milieux populaires.

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