Il aura fallu plus de vingt ans pour que la justice française reconnaisse enfin ce que le père d’Estelle Mouzin n’a cessé de répéter : l’État a failli. Non pas par maladresse ponctuelle, mais par faute lourde. Voilà le terme juridique qu’a osé employer le tribunal de Paris, dans un jugement aussi rare qu’accablant.
Vingt ans, dix juges d’instruction successifs, des pistes abandonnées puis reprises, des dossiers non cotés pendant près d’une décennie… Tout cela pendant qu’un prédateur comme Michel Fourniret se riait de nos institutions. Comment ne pas partager la colère d’Éric Mouzin, ce père qui a dû, seul, se battre pour arracher à la République des bribes de vérité ?
On nous parle de « manque de moyens ». Mais comment accepter que l’on mette tant d’énergie à poursuivre le moindre automobiliste flashé à 51 km/h, tandis qu’un dossier de disparition d’enfant reste des années en sommeil ? Comment tolérer qu’une administration judiciaire qui se gargarise de ses grands principes se montre incapable d’assurer l’essentiel : protéger les plus vulnérables et rendre justice à leurs familles ?
La vérité, c’est que l’État préfère souvent l’apparence à l’efficacité. On multiplie les discours compassionnels, les commissions Théodule, les hommages officiels, mais quand il s’agit d’enquêter sérieusement, d’assurer la continuité d’un dossier, d’affronter la vérité criminelle… alors tout s’écroule.
Le tribunal a condamné l’État à 50 000 euros. Une aumône. Une somme dérisoire pour un homme qui a perdu sa fille et qui a dû, en plus, affronter l’indifférence d’une machine judiciaire. Mais ce jugement a au moins une valeur : celle de rappeler que la République n’est pas seulement impuissante, elle est parfois coupable.
Estelle Mouzin ne reviendra pas. Son corps n’a même jamais été retrouvé. Mais son père aura au moins obtenu que la justice française, contrainte et forcée, admette enfin sa propre faillite. Triste victoire, mais symbole terrible : dans la France d’aujourd’hui, même la justice n’est plus capable de rendre justice.