Il fallait s’y attendre : l’audition de Delphine Ernotte devant la commission d’enquête sur l’audiovisuel public n’a pas déçu ceux qui anticipaient une ambiance électrique. Les députés ont manifestement accumulé les griefs depuis des années, et la présidente de France Télévisions, elle, est arrivée en mode « opération déminage », multipliant les concessions de dernière minute pour calmer les ardeurs parlementaires. Peine perdue : la séance a été si tendue qu’elle a dû être interrompue après plus de trois heures.
Dès les premières minutes, le décor est planté. Le rapporteur Charles Alloncle rappelle les « entorses au principe de neutralité » et évoque des « dysfonctionnements financiers graves ». Dans les travées, on ne s’embarrasse pas d’euphémismes : plusieurs députés décrivent un service public transformé en caisse de résonance d’une idéologie unique, accusé de multiplier bourdes, approximations et biais flagrants. Bandeau erroné sur les prisonniers palestiniens, graphique truqué, confusion entre Samuel Paty et Dominique Bernard, émissions militantes camouflées en reportages : la liste déroule comme un réquisitoire.
Face à cette avalanche, Delphine Ernotte reconnaît que son groupe n’est « pas irréprochable ». Formule qui ressemble davantage à un aveu contraint qu’à un véritable examen de conscience. Car elle s’empresse d’ajouter que les erreurs ne remettent pas en cause l’impartialité générale du service public. Cette affirmation laisse de marbre plusieurs élus, qui lui opposent des exemples concrets où l’orientation idéologique transpire jusque dans les choix éditoriaux. Même sur la question du pluralisme, les remarques fusent : nomination d’une journaliste clairement engagée et compagne d’un eurodéputé de gauche, présence répétée de Patrick Cohen, reproches vis-à-vis de CNews tout en recrutant deux de ses journalistes… L’impression générale est que France Télévisions ménage ses affinités mais pas son devoir d’équilibre.
L’autre versant de l’audition porte sur l’état des finances du groupe. Là aussi, les députés sont incisifs. Pourquoi, demandent-ils, avoir caché un déficit structurel depuis 2018 ? Pourquoi découvrir aujourd’hui une trésorerie exsangue et un cumul de pertes dépassant 80 millions d’euros ?
Ernotte réplique que tous les leviers ont été activés : 250 postes supprimés, émissions arrêtées, budgets renégociés. Elle promet un retour à l’équilibre en 2026. Une promesse qui sonne comme un vœu pieux, tant la dotation publique baisse et tant l’inflation rogne chaque euro.
Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque l’on aborde le sujet du salaire de la présidente : jusqu’à 400 000 euros par an. Un montant difficile à justifier à l’heure où son groupe licencie et coupe dans les programmes
Au fond, l’audition révèle un malaise plus profond : France Télévisions semble incapable de se réinventer autrement qu’en demandant toujours plus d’argent public, tout en s’éloignant de plus en plus d’une stricte neutralité éditoriale. L’idée que le modèle est à bout de souffle n’est plus une hypothèse ; c’est désormais reconnu par la présidente elle-même, qui affirme « arriver au bout d’un modèle ».
Une conclusion qui a un parfum de défaite, voire de résignation, et qui laisse penser que la remise à plat du service public audiovisuel ne pourra plus être évitée bien longtemps.
Ce qui transparaît en filigrane de cette audition, c’est la perte d’autorité symbolique du service public. Autrefois présenté comme un phare médiatique, il apparaît aujourd’hui comme un appareil bureaucratique défensif, crispé, persuadé d’incarner la vertu tout en refusant de regarder en face les dérives qui lui sont reprochées.
La commission d’enquête pourrait bien marquer un tournant : pour la première fois, les critiques ne viennent plus seulement de l’extérieur. Elles se structurent, se documentent et prennent un visage institutionnel.