La lutte contre le terrorisme islamiste a changé de visage. Moins spectaculaire, moins visible, elle se déroule désormais à huis clos, derrière les écrans de smartphones, au rythme des vidéos courtes, des montages chocs et des messages codés. La radicalisation contemporaine ne passe plus d’abord par les mosquées clandestines ou les filières physiques, mais par des plateformes numériques devenues des accélérateurs idéologiques.
Une radicalisation dématérialisée, mais massive
Les chiffres donnent la mesure du phénomène. En 2025, près de 10.000 signalements liés au terrorisme ont été recensés par la plateforme Pharos. Derrière cette statistique brute se cache une mutation profonde : la propagande islamiste est devenue continue, diffuse, omniprésente. Elle s’adresse à des publics jeunes, souvent très jeunes, parfois mineurs, happés par un flux incessant de contenus violents, victimaires ou héroïsants.
Cette dématérialisation a un effet redoutable : elle abolit les frontières géographiques, réduit les délais de passage à l’acte et banalise l’extrémisme. La radicalisation ne se construit plus sur des années ; elle peut se jouer en quelques semaines, parfois en quelques jours.
Les influenceurs djihadistes, nouveaux acteurs clés
L’époque des grandes figures charismatiques prêchant depuis des zones de conflit est en grande partie révolue. Place désormais aux « micro-influenceurs » djihadistes, souvent anonymes, opérant sous pseudonyme. Leur force : une parfaite maîtrise des codes des réseaux sociaux.
Ils savent provoquer l’émotion, détourner l’actualité internationale, recycler des images anciennes et exploiter chaque crise – Gaza, Sahel, Afghanistan – pour nourrir un récit manichéen. Leur discours est rarement théologique ; il est affectif, identitaire, vengeur. Il parle d’humiliation, de revanche, de dignité retrouvée.
TikTok et la tyrannie de l’algorithme
TikTok occupe une place centrale dans cette stratégie. Son algorithme, fondé sur la viralité émotionnelle, constitue un terrain idéal pour la propagande. Les contenus les plus radicaux, les plus choquants, les plus polarisants y trouvent une visibilité fulgurante.
Malgré les efforts de modération, les islamistes contournent sans cesse les filtres : nouveaux comptes, symboles codés, musiques détournées, images modifiées par intelligence artificielle. Chaque suppression est suivie d’une reconstitution presque immédiate, comme une hydre numérique.
Une jeunesse particulièrement exposée
Les données communiquées par les services de renseignement sont préoccupantes. La majorité des individus interpellés pour des faits de terrorisme islamiste ont moins de 21 ans. Certains n’ont jamais mis les pieds dans une zone de conflit, ni fréquenté de réseau structuré hors ligne.
Ils ont appris seuls, devant un écran, dans une forme d’auto-endoctrinement guidé par des contenus soigneusement calibrés. Cette solitude idéologique rend le phénomène plus difficile à détecter, mais aussi plus explosif.
L’intelligence artificielle, nouvel amplificateur
La propagande islamiste n’échappe pas aux évolutions technologiques. L’intelligence artificielle est désormais utilisée pour traduire, produire, adapter les messages à différents publics linguistiques et culturels. Vidéos retravaillées, voix synthétiques, montages plus sophistiqués : la qualité augmente, la crédibilité aussi.
Ce saut technologique permet aux organisations terroristes de produire à bas coût une propagande quasi industrielle, tout en conservant une apparence artisanale qui rassure et attire.
L’État face à un combat asymétrique
Les autorités françaises ne sont pas inactives. DGSI, police judiciaire, plateformes de signalement multiplient les actions. Mais le combat reste profondément asymétrique : d’un côté, des institutions contraintes par le droit, la procédure, la transparence ; de l’autre, des réseaux fluides, mouvants, insaisissables.
La fermeture d’un compte ne signifie jamais la disparition d’un propagandiste. Elle marque souvent le début d’une dissémination plus large encore, sur d’autres plateformes, d’autres canaux, d’autres formats.
Une menace durable, malgré le reflux des attentats
Si le nombre d’attentats a diminué ces dernières années en Europe, les autorités restent prudentes. Europol classe toujours le terrorisme islamiste comme l’idéologie la plus meurtrière du continent. La propagande continue d’alimenter un terreau de violence latente, prêt à s’embraser au gré des circonstances.
L’erreur serait de confondre accalmie statistique et victoire idéologique. Les réseaux ne dorment jamais ; ils mutent, s’adaptent, patientent.
Face à cette guerre invisible, la lucidité reste la première ligne de défense.