« C’est ici que sont les martyrs, c’est ici que le Sacré-Cœur doit régner ! ». Ces puissantes paroles du cardinal-archevêque de Paris, Mgr Joseph Hippolyte Guibert (1802-1886) ne sont pas pour rien dans la construction de la basilique qui fête, depuis le 20 octobre 2019, le centenaire de sa consécration.

Montmartre, lieu des martyrs. Sur cette colline ont été suppliciés les premiers apôtres de Paris : saint Denis et ses compagnons Eleuthère et Rustique.

Vers 475, sainte Geneviève fait construire une église à l’endroit même où saint Denis rendit son ultime témoignage de foi et d’amour envers l’unique et seul Seigneur, Jésus-Christ, vrai Fils de Dieu. Au IXe siècle, l’édifice qui menace ruine est reconstruit. Par la suite, et jusqu’à la Révolution française, l’église se mue en couvent de religieuses bénédictines, dédié à la Vierge Marie. 

La station du métropolitain “Abbesses”, à Montmartre, témoigne encore de cette présence monastique, de même que les rues de Rochechouart ou de la Tour d’Auvergne, qui portent les noms de supérieures d’un monastère aujourd’hui disparu. Et pour cause : dispersées par la Révolution française, les Bénédictines voient leur monastère pillé et détruit de fond en comble en 1792. Au plus fort de la Terreur, la dernière abbesse, Marie-Louise de Montmorency-Laval, monte sur l’échafaud le 24 juillet 1794. Son sang permet la miraculeuse résurrection de vie religieuse qui s’opérera quatre-vingts ans plus tard sur la Butte sacrée, écrit avec justesse le site de la Basilique.

Le vœu national 

En 1870, Garibaldi s’empare de Rome et le pape Pie IX, spolié de ses Etats, se réfugie sur la colline du Vatican. Parallèlement le Second Empire s’effondre face à la Prusse qui envahit la France. Celle-ci, vaincue et humiliée, est amputée de l’Alsace et de la Lorraine. La capitale est en proie à l’agitation révolutionnaire de la Commune de Paris. Celle-ci se constitue à la suite des émeutes de mars 1871 qui ont lieu sur la butte Montmartre, où deux généraux sont sauvagement assassinés.

Dans cette situation tragique, deux hommes de foi lancent « le vœu national », une confrérie patriotique ayant notamment pour but de réaliser la consécration de la France au Sacré-Cœur, selon la demande de ce dernier à sainte Marguerite-Marie, le 17 juin 1689. 

Réfugiés à Poitiers, soutenus par le cardinal Pie, l’entrepreneur Alexandre Legentil et son beau-frère, le peintre Hubert Rohault de Fleury, font campagne pour édifier un sanctuaire en l’honneur du Sacré-Cœur. Le vœu national rédigé par Alexandre Legentil énonce : « En présence des malheurs qui désolent la France et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore ; en présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l’Eglise et du Saint-Siège, et contre la personne sacrée du Vicaire de Jésus-Christ, nous nous humilions devant Dieu et réunissant dans notre amour l’Eglise et notre patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés. Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes ainsi que les secours extraordinaires, qui peuvent seuls délivrer le Souverain pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France, nous promettons de contribuer à l’érection à Paris d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus ».

Le 18 janvier 1872, Mgr Guibert approuve la pieuse initiative qui prévoit de construire une église dédiée au Sacré-Cœur et il choisit comme emplacement le sommet du Mont des martyrs – Montmartre – qui domine Paris. Il s’écrie : « C’est ici que sont les martyrs, c’est ici que le Sacré-Cœur doit régner, afin d’attirer tout à Lui… Au sommet de la colline où le christianisme prit naissance parmi nous, dans le sang de nos premiers apôtres, doit s’élever le monument de notre régénération religieuse ».

Afin de pouvoir acquérir les terrains nécessaires, les promoteurs du projet se tournent vers l’Assemblée Nationale qui vote, le 24 juillet 1873, la reconnaissance d’utilité publique de ce chantier grandiose. La laïcité n’était pas encore l’idéologie sectaire qui s’est abattue depuis sur la France. Le pays de Clovis, de saint Denis et de sainte Geneviève savait encore reconnaître comme source de ses malheurs le mépris de Dieu et de ses droits. L’église sera consacrée au Sacré-Cœur, sur la butte Montmartre, en réparation pour toutes les fautes nationales – “Gallia poenitens et devota”. 

De la première pierre à la consécration 

Le 16 juin 1875, le cardinal Guibert pose la première pierre de l’édifice. Le chantier connaîtra de nombreuses péripéties et vicissitudes. La consécration, prévue le 17 octobre 1914, est reportée à cause de l’entrée en guerre. C’est finalement le 16 octobre 1919, il y a cent ans, que le cardinal Amette, archevêque de Paris, consacre le bâtiment au culte de Dieu, sous la présidence du cardinal Antonio Vico, alors préfet de la Sacrée Congrégation des rites et légat du pape Benoît XV.

Pour saluer ce centenaire, une année jubilaire a été décrétée entre le 20 octobre 2019 et le 18 octobre 2020. Ajoutons que, depuis le 1er août 1885, l’adoration eucharistique s’y déroule sans interruption, de jour comme de nuit, dans le silence, afin de faire monter vers le Ciel une longue prière réparatrice, pour Paris, la France et l’Eglise qui en ont un si grand besoin. Commencée dans une chapelle provisoire édifiée à côté du chantier, l’adoration eucharistique perpétuelle n’a jamais été interrompue, y compris lors des bombardements d’avril 1944.

Print Friendly, PDF & Email