Campagne, mon amour : quand les journalistes découvrent la France périphérique… à Couthures-sur-Garonne

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Chaque année, ils descendent de Paris comme d’autres jadis « montaient » à Rome. Direction Couthures-sur-Garonne, charmant village du Lot-et-Garonne, théâtre d’un événement devenu rituel : le Festival international de journalisme, où les journalistes viennent parler… des journalistes. Cette année, surprise : on y a découvert l’existence d’une France rurale, profonde, parfois un peu boueuse, avec de vrais gens qui n’ont ni carte de presse ni badge France Info.

La conférence s’intitulait sobrement : « Un média national à l’écoute des territoires ». Et là, stupéfaction dans la salle : un spectateur ose faire remarquer qu’on ne parle que d’agriculture. Il pensait qu’on allait parler de la ruralité. C’est dire le niveau de lucidité atteint par l’assistance. On découvre alors, entre deux verres de Tariquet bio, que les journalistes parisiens réduisent la campagne aux champs de maïs et aux manifs de tracteurs.


La campagne, cette terra incognita

Lassés de voir leurs villages caricaturés en déserts médicaux ou en repaires de complotistes, les ruraux grognent. Et pour une fois, ce n’est pas à cause du glyphosate. Ils aimeraient qu’on parle de leurs projets, de leurs écoles, de leurs jeunes, bref : de leur vie. Mais dans les rédactions nationales, on préfère envoyer un envoyé spécial dès qu’une chèvre se jette dans un ravin ou qu’un maire reçoit une lettre de menace. À croire que la campagne n’existe que lorsqu’elle brûle ou manifeste.

Heureusement, il reste quelques irréductibles : les journalistes locaux. Ces obscurs, ces sans-grade qui, contre vents, marées et abonnements qui fuient, continuent à couvrir les mariages, les votes du conseil municipal et les concours de belote. Mais eux aussi, à entendre leurs témoignages, souffrent d’un complexe d’infériorité quand Paris daigne descendre en province. On les comprend : quand un micro de BFMTV débarque, c’est rarement pour parler du nouveau boulanger.

Du Gers au mépris : anatomie d’un biais

Un intervenant, cité par nos confrères du Monde, le résume avec finesse : « Les Parisiens voient le Gers comme une volière à canards. » Image cruelle, mais exacte. La ruralité, dans les esprits médiatiques, oscille entre le folklore de carte postale et le danger populiste. On se pince donc quand on apprend que des émissions comme “Carnets de campagne” ou “NoA sur Terre” tentent, à la marge, de raconter autre chose que le sempiternel cliché du paysan en colère.

Mais ne nous leurrons pas : pour la majorité des grandes rédactions, le pays réel commence au périphérique, et s’achève dans un rond-point de Gilets jaunes. À force de méconnaître ce territoire, ils n’ont rien vu venir des séismes électoraux de ces dernières années. Et plutôt que d’aller sur le terrain, on organise une table ronde à Couthures. L’entre-soi, mais avec vue sur la Garonne.

Quand la presse redécouvre le local comme on redécouvre le vélo

Le plus savoureux reste à venir : les journalistes de la presse régionale admettent eux-mêmes qu’ils n’enquêtent plus, accaparés par l’urgence, la rentabilité, la concurrence. La locale devient une course contre la montre, au détriment de la profondeur. Pourtant, c’est là que naissent les vrais scandales, les vraies affaires, les vrais enjeux. On l’oublie souvent : le clientélisme, les combines, les abus de pouvoir ne sont pas l’apanage des métropoles.

Mais les jeunes pousses tentent d’innover. On nous parle de Mediacités, de Far Ouest, de médias indépendants qui veulent réinvestir la proximité. Louable. Encore faudrait-il qu’ils soient lus. Car pour beaucoup, la confiance est rompue. La parole journalistique est perçue comme biaisée, orientée, étrangère au quotidien de ceux qu’elle prétend représenter.

Un aveu d’échec déguisé en débat

Au fond, ce festival ressemble à une séance de psychanalyse collective : les journalistes viennent y confesser leurs fautes, comme on va à confesse à l’église. Mais après les bonnes résolutions, que restera-t-il ? Un papier sur les agriculteurs en colère, un autre sur la désertification médicale… et le reste retournera au chaud, à Paris.

On ne fera pas croire aux ruraux qu’ils comptent tant que les décisions éditoriales seront prises par des diplômés d’école de journalisme qui ne mettent jamais les pieds dans un village autrement que pour un sujet sur « la fracture numérique ». La fracture médiatique est là, béante. Et ce n’est pas une table ronde dans le Lot-et-Garonne qui la colmatera.

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