Aymeric Caron a manifestement décidé d’aller jusqu’au bout de sa logique. Le député de La France insoumise propose désormais la création d’un « conseil déontologique » chargé de sanctionner les journalistes, jusqu’au retrait pur et simple de leur carte de presse. Rien de moins. Le motif avancé se veut noble : lutter contre les « fake news » et des médias jugés illégitimes. La méthode, elle, a de quoi inquiéter sérieusement les âmes éprises de liberté.
Derrière l’emballage moral, le mécanisme apparaît sans fard. Il s’agirait de confier à une instance, nécessairement idéologique, le pouvoir de dire qui a le droit d’informer et qui ne l’a plus. Une carte de presse conditionnelle, révocable à merci, soumise à une définition fluctuante du « bon » journalisme. Autrement dit, une autorisation d’exercer délivrée sous conditions politiques.
L’histoire est pourtant connue. Chaque fois qu’un pouvoir prétend réguler l’information au nom du bien, il finit par contrôler les voix dissidentes. Le vocabulaire change, les intentions affichées se parent de vertus, mais la finalité demeure : réduire le champ du débat. Ce qui dérange devient suspect, ce qui contredit devient « dangereux », ce qui résiste mérite sanction.
La proposition d’Aymeric Caron s’inscrit dans une logique plus large : celle d’une défiance profonde envers la liberté de la presse dès lors qu’elle échappe au récit dominant. Les médias ne sont plus critiqués pour leurs erreurs — ce qui est légitime — mais pour leur existence même lorsqu’ils refusent de se conformer à une grille idéologique préétablie.
Dans une démocratie digne de ce nom, les journalistes sont imparfaits, parfois contestables, souvent agaçants. Mais ils ne relèvent pas d’un permis d’exister accordé par le pouvoir politique. Leur rôle consiste précisément à déranger, à enquêter, à contredire. Les encadrer par la menace d’un retrait de carte, c’est transformer la critique en faute et l’indépendance en délit.
La question posée par ce projet est donc simple, et lourde de conséquences : qui contrôle le pouvoir lorsque le pouvoir prétend contrôler ceux qui informent ? En voulant moraliser la presse, Aymeric Caron ouvre la porte à une remise en cause frontale d’un pilier essentiel de la vie démocratique. Et l’on sait, hélas, que ces portes-là se referment rarement sans fracas.