Octobre 1940

O notre France, hier encore libre et fière,
Te voilà seule, toi qu’on courtisait naguère,
Saignante, humiliée, en pleurs, – tu gis à terre !

Tout, tes champs, tes forêts, ton grand Paris exquis,
– Bordeaux royal, – Metz où, Verlaine, tu naquis ! –
Les deux tiers de ton sol sacré pour tous, conquis !

Tu sembles morte, ô France, et pourtant quelque chose,
Dans cette ombre où le sens du futur se compose,
Au plus profind de nous espère encor sans cause.

Quelque chose nous dit qu’on te verra bientôt
Renaître et rebondir dans l’histoire, très haut,
En un irresistible et radieux sursaut,

Par l’élasticité de l’âme populaire,
Par cette alacrité fameuse et tutélaire
Grâce à quoi ton plus noir malheur déjà s’éclaire.

Va, rien n’est dit, et tout espoir n’est pas banni.
Les peuples ont besoin de ton rêve honni :
Ton rôle sous le vieux soleil n’est pas fini !

Il reste des palais de l’esprit à construire,
De nouveaux sons dorés à tirer de la lyre,
Des causes à défendre, et des rires à rire !

Qui le ferait dans ce vieux monde en désarroi,
Dans ce monde où, sans toi, le désespoir est roi,
France, aîné des pays adultes, sinon toi ?

Tu n’avais pas assez amassé de ferraille !
La Gloire aujourd’hui veut un socle de mitarille ;
Mais qu’on te plaigne, ô France aimée, ou qu’on te raille,

Laisse. Si tu n’as su forger avec rigueur
Le poids d’acier qui fait maintenant un vainqueur,
Est-ce que cela change un atome en ton cœur ?

Est-ce que par erreur, oubli, folle imprudence,
N’avoir pas fait, sur une assez vive cadence,
Un tas d’outils de mort assez haut, assez dense,

Est-ce qu’on accident pareil offre un rapport
Avec ton être permanent, le long effort
De vingt sècles qui l’ont dressé vaillant et fort,

Traînant tout un passé si brillant d’héroïsme
Que le courage y vêt les sept couleurs du prisme
Et vers la sainteté lointaine jette un isthme !

Laisse. C’est un grand maître aussi, lui, que Demain.
Il prend parfois un peuple à terre et, de sa main,
Le relève et le hisse au haut du genre humain.

Tu peux battre ta coulpe et te couvrir de cendre
Et jusqu’à t’accuser de crimes condescendre ;
Mais Athène a conquis Rome après Alexandre !

Tu le sais, et que Sparte est morte, vague tas
De ruines aux bords fangeux de l’Eurotas,
Où nul écho ne vibre au cri : Léonidas !

Tu sais qu’hier encor quiconque avait une âme,
Lorsque le Parthénon grandissait sur la lame,
Petit triangle mat sur son rocher de flamme,

Sentait l’émotion mâle et tendre à la fois
Qui lui mouillait les yeux et lui séchait la voix
Et sur le bastingage ardent crispait ses doigts.

Tu sais que depuis le chaos du monde antique
Sur le cap Sunion a brillé, feu mystique,
La pointe de la lance au soleil de l’Attique !

Va, l’on peut te blesser, non te faire périr,
France, sœur de tous les pays las de souffrir,
O France en qui le monde à quelqu’un à chérir !