15 décembre 1840 : Paris ne bruisse pas. Paris se tait. Sur les quais de la Seine, dans les rues, sous les voûtes de l’Arc de Triomphe, une foule immense accompagne un cortège hors norme. Ce jour-là, ce n’est pas seulement un cercueil que l’on ramène : c’est une part de la France que l’on restitue à elle-même.
Vingt et un ans après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, l’Empereur rentre enfin au pays. Exilé par les vainqueurs de 1815, tenu à distance jusque dans la mort, il revient porté par une volonté politique assumée : celle de Louis-Philippe, qui comprend que l’on ne gouverne pas durablement contre la mémoire nationale.
Un geste politique lucide
Le retour des cendres n’est pas une lubie romantique ni un caprice nostalgique. Il s’agit d’un acte mûrement réfléchi. La France de 1840 reste travaillée par les fractures issues de la Révolution, de l’Empire et de la Restauration. Bonaparte, honni par certains, admiré par d’autres, demeure un point de fixation. L’ignorer, c’est entretenir la division. Le faire revenir, c’est tenter de l’apaiser.
Louis-Philippe ne réhabilite pas un régime ; il reconnaît un fait historique. Napoléon appartient au peuple français, qu’on l’admire ou qu’on le critique. Le ramener, c’est accepter l’Histoire telle qu’elle est, et non telle que certains aimeraient la réécrire.
La Belle Poule et la fidélité des anciens
La frégate La Belle Poule quitte Toulon en juillet 1840. À son bord, le prince de Joinville et plusieurs compagnons de l’exil impérial. À Sainte-Hélène, l’exhumation du corps se déroule dans une atmosphère lourde, presque sacrée. Lorsque le cercueil est ouvert, le visage de l’Empereur apparaît remarquablement conservé. L’instant frappe les témoins : Napoléon semble figé hors du temps, comme si l’exil n’avait pas eu de prise sur lui.
Le cercueil reprend la mer, enveloppé de respect et de symboles. Victor Hugo résumera l’épisode d’une phrase saisissante : « L’océan rendit son cercueil à la France. »
Paris, capitale du recueillement
Le 15 décembre, le convoi entre dans Paris. Le char funèbre, monumental, traverse la ville dans un silence impressionnant. Les vétérans de la Grande Armée marchent, droits malgré l’âge, les yeux humides. Le peuple regarde passer celui qui incarna à la fois la gloire, l’ordre et la tragédie.
Sous l’Arc de Triomphe, monument voulu par Napoléon lui-même, l’instant prend une dimension presque irréelle. L’Empereur repasse sous les pierres élevées à sa gloire, non plus en conquérant, mais en héritage.
Aux Invalides, la France se souvient
Aux Invalides, Louis-Philippe accueille le cercueil. L’épée d’Austerlitz et de Marengo est déposée sur la bière. Le geste est fort : il ne glorifie pas la guerre, il reconnaît le rôle historique d’un homme qui a façonné durablement le pays.
Napoléon ne reposera définitivement sous le dôme qu’en 1861, mais l’essentiel est déjà accompli. Le vœu de l’Empereur est respecté : reposer sur les bords de la Seine, au milieu du peuple français.
Une leçon pour aujourd’hui
Le retour des cendres rappelle une évidence que notre époque semble avoir oubliée : une nation ne se construit pas en effaçant son passé. Elle se tient debout en l’assumant. Napoléon n’est ni un saint ni un démon. Il est un fait historique majeur. Le comprendre n’empêche ni la nuance ni la critique ; cela interdit seulement l’amnésie.
En 1840, la France a fait preuve de maturité. Elle a regardé son histoire en face. Peut-être serait-il temps, aujourd’hui encore, de s’en souvenir.