Macron et la tentation permanente de la censure

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Depuis quelques jours, Emmanuel Macron remet sur la table une idée qui l’accompagne depuis son premier mandat : reprendre en main les réseaux sociaux, les encadrer, les filtrer, les rendre dociles. À chaque crise, le même réflexe ressurgit. Et à Saint-Malo, où il poursuivait son « tour de France numérique », le Président a retrouvé un air déjà entendu : celui d’un chef d’État convaincu que la société fonctionnerait mieux si la parole publique passait par un sas contrôlé.

Il parle d’« interdire les réseaux aux moins de quinze ans », de faire retirer les « messages haineux », de fermer les « faux comptes ». Ces expressions reviennent comme un mantra. Elles sonnent bien, inquiètent les parents, rassurent une partie de l’opinion, mais elles servent surtout de justification à un durcissement progressif de la liberté d’expression en ligne. Car derrière la vitrine protectrice, le pouvoir rêve d’une place publique assainie de tout ce qui lui résiste.


L’argument est rodé. Les réseaux nous auraient « échappé depuis dix ans ». Qui les a laissés dériver ? Qui, depuis 2017, empile lois, commissions et discours sur la régulation numérique sans jamais parvenir à stabiliser quoi que ce soit ? La réponse est gênante : c’est justement l’exécutif qui n’a cessé de légiférer, de surveiller, de sermonner, sans régler le problème qu’il prétend aujourd’hui découvrir de nouveau.

À chaque annonce, on retrouve cette même ambiguïté. Le Président invoque la lutte contre les ingérences étrangères, les infox climatiques, les divisions sociales. Mais ces phénomènes sont anciens, complexes, parfois amplifiés par des stratégies géopolitiques. Imaginer que la fermeture de comptes anonymes ou l’interdiction des moins de quinze ans suffirait à rétablir l’unité nationale relève plus du slogan que d’un projet cohérent.

Le pouvoir, en réalité, vise autre chose : reprendre la maîtrise d’un espace où il ne règne plus. Les réseaux sociaux ont affaibli les médiations traditionnelles, fragilisé le récit officiel, ouvert des brèches où s’expriment colère, défiance et contre-cultures. Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, le rétablissement de l’autorité passe par une reconquête de ces espaces numériques trop imprévisibles pour lui.

La République, lit-on en filigrane, retrouverait sa santé si chacun parlait sous son vrai nom, avec un badge d’identité, dans un périmètre surveillé par l’État et les plateformes. Une vision hygiéniste, presque médicale, qui réduit les réseaux sociaux à un problème technique plutôt qu’à un symptôme du malaise français.

Jusqu’où ira cette nouvelle vague de régulation ? Le Président évoque un durcissement du droit européen, une accélération judiciaire, l’obligation faite aux plateformes d’épurer le débat. On connaît la pente : chaque étape est présentée comme raisonnable, nécessaire, urgente. Chaque restriction devient la rampe d’une autre plus intrusive. Et au bout, c’est une société où la parole ne circule plus vraiment librement, où la peur d’être sanctionné remplace la spontanéité du débat.

Que les réseaux puissent être violents, parfois toxiques, nul n’en disconvient. Mais l’obsession de contrôle qui revient à chaque intervention présidentielle dit autre chose : l’angoisse d’un pouvoir qui voit l’espace public lui échapper, et qui croit pouvoir le reconquérir en verrouillant davantage. Une illusion familière à l’histoire politique française, rarement couronnée de succès.

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