Laurent Nuñez en est réduit à écrire aux préfets pour leur rappeler que la France doit « renforcer les dispositifs de sécurité ». À ce stade, ce n’est plus une consigne, c’est un aveu. Après des années d’attentats, de notes, de réunions, de cellules de crise, le ministre de l’Intérieur demande une « vigilance maximale » comme si l’on ne vivait pas déjà dans un état de tension permanent. Les marchés de Noël, lieux populaires, familiaux, festifs, deviennent chaque hiver des zones à hauts risques où les familles déambulent entre les stands en scrutant les angles morts comme sur un champ de bataille.
Le courrier rappelle Strasbourg 2018, Berlin 2024. Autrement dit : rien n’a été réglé. On multiplie les barrières bétonnées, on accroît la présence policière, on s’en remet à la fameuse « vidéoprotection », comme si les caméras pouvaient remplacer une stratégie claire face à une menace qui prospère sur notre faiblesse. L’État se contente d’espérer empêcher le pire au lieu d’éliminer ses causes. On surveille, on circonscrit, on espère. Voilà où nous en sommes.
Selon cette nouvelle note, les préfets doivent gérer des flux piétons, prendre des arrêtés de circulation, renforcer la coopération avec les sociétés de sécurité privées, solliciter les élus… Autrement dit : déployer un patchwork administratif pour contenir un risque qui a cessé d’être exceptionnel. Et la France marche sur la tête lorsqu’elle en arrive à prier les communes de fournir leurs caméras pour assurer la sécurité d’un événement traditionnel. Le « continuum de sécurité » devient une béquille pour un État qui n’arrive plus à tenir debout tout seul.
La note évoque aussi la force Sentinelle, ces militaires qui patrouillent dans les rues françaises. On les a tellement intégrés au décor qu’on finit par oublier le sens de leur présence : un pays qui vit sous la menace permanente d’un ennemi intérieur. Une semaine, c’est deux adolescents interpellés pour un projet d’attentat antisémite ; la suivante, des notes de la DGSI alertant sur des menaces contre les chrétiens. Le pays s’habitue à l’inacceptable.
Dans ses déclarations, Laurent Nuñez reconnaît d’ailleurs que les marchés de Noël sont expressément cités dans la propagande djihadiste, au même titre que les forces de l’ordre, les lieux de culte ou les institutions publiques. On parle ici de cibles désignées, nommées, revendiquées. On ne peut pas faire plus clair. Pourtant, année après année, on se contente de répéter les mêmes consignes, les mêmes mesures, les mêmes appels.
La vérité, c’est que cette vigilance « maximale » n’est que la gestion d’une déroute silencieuse. Les marchés de Noël devraient incarner la paix, la culture européenne, la joie simple de la période hivernale. Ils deviennent un test grandeur nature de la capacité de l’État à éviter le drame. Les familles viennent acheter du vin chaud entourées de militaires au garde-à-vous. On peut bien appeler cela la « résilience », mais il s’agit avant tout d’un aveu : celui d’un pays qui renonce à être serein sur son propre sol.
À force de répéter chaque hiver que la menace est « très élevée », on finit par oublier la question essentielle : pourquoi la France doit-elle s’habituer à vivre ainsi ? Et surtout : quand aura-t-on enfin le courage de remonter à la source de ce qui menace nos marchés, nos églises, nos rues et notre mode de vie ?