Royaume-Uni : quand le rail privé déraille, l’État reprend la main

Photo : Victoraf

Trente ans de privatisation, et au bout du compte… un retour au bercail. Londres vient d’acter la renationalisation progressive de son réseau ferroviaire d’ici 2027. Une volte-face spectaculaire qui en dit long sur l’échec du modèle que la France… est en train de mettre en place.

Trente ans de fiasco

Billets hors de prix, trains systématiquement en retard, dividendes mirobolants pour les actionnaires, infrastructures laissées à l’abandon : le bilan est accablant. Un voyageur britannique paie en moyenne cinq fois plus cher son billet qu’un Français, pour un service objectivement plus médiocre. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : à peine 67 % de ponctualité, contre 87 % pour la SNCF — pourtant régulièrement brocardée en France.

Le symbole du naufrage reste l’accident de Hatfield en 2000, conséquence directe du sous-investissement. La compagnie privée Railtrack, censée gérer l’ensemble des infrastructures, a fait faillite en six ans. Premier domino à tomber, annonciateur d’une privatisation aussi dogmatique que calamiteuse.

Starmer fait du Corbyn sans le dire

C’est le travailliste Keir Starmer qui orchestre aujourd’hui le grand retour de l’État. South Western Railway a été la première compagnie rapatriée dans le giron public en mai, suivie de c2c en juillet. Le projet prévoit la création d’un mastodonte unique, Great British Railways (GBR), censé réunifier réseau, infrastructures et opérateurs.

La ministre des Transports Heidi Alexander a parlé d’« adieu à 30 ans d’inefficacité ». Le Premier ministre, lui, promet des trains plus confortables, une billetterie simplifiée et des services enfin dignes du XXIᵉ siècle. Mais derrière ces promesses, c’est bien une rupture idéologique qui s’esquisse : après avoir caricaturé Jeremy Corbyn comme un nostalgique de l’État-providence, les travaillistes appliquent aujourd’hui une partie de son programme.

L’Europe à contre-courant

Le contraste est saisissant. Alors que la France s’ouvre à la concurrence (Trenitalia, Renfe, Transdev…), le Royaume-Uni, qui a servi de modèle aux libéraux français, fait exactement le chemin inverse. Un système présenté naguère comme l’avenir s’effondre sous le poids de ses propres contradictions. Les économistes parlent pudiquement « d’un monopole naturel mal découpé ». Traduction : chaque compagnie privée avait, de fait, la mainmise sur sa zone, et la concurrence n’a jamais existé.

Plus de service ou plus de bureaucratie ?

Reste à savoir si cette renationalisation sera autre chose qu’un slogan. Les contribuables britanniques, qui ont déjà subventionné à coups de milliards des opérateurs privés défaillants pendant la pandémie, devront financer ce retour à l’État. Les conservateurs, minoritaires, dénoncent une usine à gaz qui risque d’ajouter de la bureaucratie sans améliorer la ponctualité.

Mais au fond, le choix est clair : soit on assume un service public cohérent, soit on laisse des intérêts privés vampiriser les usagers. Après trois décennies de racket ferroviaire, les Britanniques ont choisi.

À l’heure où Paris privatise à la marge son rail, Londres fait le pari inverse. La question, désormais, est de savoir qui, des libéraux français ou des sociaux-démocrates britanniques, se trompe d’époque.

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