Chute de François Bayrou : la débâcle d’un système à bout de souffle

Illustration : LLP

Lundi 8 septembre 2025, 19 heures. Sous les ors de l’Assemblée nationale, François Bayrou, visage fermé, quitte l’hémicycle. Quelques ministres l’accompagnent, muets, tandis qu’à deux pas, les élus de la gauche radicale exultent. Le Béarnais vient de connaître l’humiliation politique suprême : renversé par un vote de défiance qu’il avait lui-même convoqué, par calcul ou par naïveté. Résultat sans appel : 364 députés contre lui, 194 seulement pour. La Ve République n’avait jamais vécu cela. Un Premier ministre qui sollicite la confiance… et tombe.

La fin d’une illusion

Le scénario était écrit. Depuis des jours, les observateurs notaient l’isolement croissant du Premier ministre. Bayrou croyait sans doute que son discours sur « la France au bord de la falaise » allait éveiller un sursaut. Il n’a récolté qu’indifférence et sarcasmes. Dans son camp, 13 députés LR rattachés au « socle commun » l’ont lâché. Même chez les macronistes, certains ont préféré s’abstenir. Le gouvernement n’avait plus ni souffle, ni cap, ni majorité.


Le paradoxe est cruel : François Bayrou avait survécu huit mois et 26 jours, bien plus que son prédécesseur Michel Barnier. Mais ce sursis n’a rien produit, sinon un inventaire de réformes avortées et de promesses suspendues.

Les oppositions triomphantes

Dans l’hémicycle, les adversaires se sont régalés. Boris Vallaud (PS) a dénoncé « les manœuvres dilatoires » et « la dette creusée comme jamais ». Cyrielle Chatelain (Écologistes) a salué un « soulagement ». Marine Le Pen a parlé de la « fin de l’agonie d’un gouvernement fantôme », incapable, en huit mois, de proposer plus de cinq textes. Les Insoumis, eux, se sont amusés des formules du Premier ministre, allant jusqu’à tourner en dérision ses larmes contenues.

Rarement une chute aura suscité autant de jubilation chez ses ennemis, autant de gêne chez ses alliés.

Macron piégé par son propre système

Le vrai perdant de cette journée n’est pas seulement François Bayrou. C’est Emmanuel Macron lui-même, prisonnier d’une équation insoluble. Après avoir dissous l’Assemblée il y a à peine un an et demi, après avoir vu tomber Barnier, puis Bayrou, le président ne peut plus masquer le chaos institutionnel. Chaque gouvernement est condamné à l’impuissance faute de majorité claire. Chaque nomination se réduit à un casting de transition.

L’Élysée promet déjà un nouveau Premier ministre « dans les jours qui viennent ». Mais qui, dans ce paysage fracturé, peut encore incarner une stabilité ? Certainement pas un énième « fusible » destiné à tenir quelques mois.

Les tractations déjà en marche

Dans les coulisses, les discussions vont bon train. Les macronistes songent à offrir un « gage » à la gauche pour faire passer le prochain budget : une taxation des grandes fortunes inspirée de l’économiste Gabriel Zucman. « Une sombre connerie », reconnaît un député Renaissance, mais devenue inévitable pour éviter une nouvelle chute.

Les socialistes, conscients de leur rôle pivot, avancent prudemment. François Hollande, revenu en conseiller officieux, les exhorte à « garder la retenue ». Les Républicains, divisés entre frondeurs et soutiens résiduels, se déchirent sur la ligne à adopter. Le Rassemblement national et La France insoumise, eux, réclament d’une seule voix la dissolution, persuadés que seul un retour aux urnes peut clarifier la situation.

Une crise qui s’ajoute à la crise

Au-delà des joutes parlementaires, la situation est explosive : projets de loi de finances bloqués, Sécurité sociale en attente, menace de dégradation de la note française par l’agence Fitch. Le pays est paralysé alors qu’il suffoque déjà sous les déficits et la crise sociale.

Un habitué du Palais Bourbon résume : « Si les ministres ne siègent plus, on ne débat de rien. » L’Assemblée, transformée en théâtre d’ombres, ne produit plus de lois. L’exécutif, réduit aux affaires courantes, survit au jour le jour.

Le symbole d’un régime épuisé

La chute de Bayrou restera comme une première dans l’histoire de la Ve République. Mais au-delà de la personne, c’est le système qui se révèle à bout de souffle. Majorité introuvable, dissolutions en série, gouvernements précaires : la mécanique institutionnelle patine.

Les Français, eux, observent ce spectacle avec un mélange d’exaspération et de résignation. Tandis que la dette galope, que l’insécurité progresse, que l’immigration explose, leurs dirigeants se perdent dans des combinaisons d’appareils.

La journée du 8 septembre 2025 n’a pas seulement signé la fin de Bayrou à Matignon. Elle a confirmé l’entrée de la France dans une crise politique profonde, où l’usure du pouvoir macroniste se conjugue à l’incapacité d’un Parlement émietté à dégager une voie claire.

L’histoire retiendra peut-être cette image : un Premier ministre quittant l’Assemblée, la tête basse, tandis que ses adversaires rient aux éclats. Mais derrière la scène, c’est un pays entier qui sombre dans l’incertitude.

guest
6 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires


La lettre patriote