L’ancien Pôle emploi, rebaptisé France Travail, doit aujourd’hui gérer un défi colossal : accueillir 1,1 million de nouveaux allocataires du RSA, tout en maintenant un budget contraint et sans augmenter ses effectifs. Pire : le gouvernement avait même envisagé de réduire les postes. Résultat, l’opérateur public cherche à se montrer « exemplaire » en se lançant dans un plan d’« efficience » à marche forcée.
En clair : travailler plus avec moins de bras. Et pour y parvenir, l’arme miracle est toute trouvée : l’intelligence artificielle.
L’IA pour remplacer l’humain
Depuis plusieurs mois, France Travail équipe ses conseillers d’outils numériques dopés à l’IA. « ChatFT », inspiré de ChatGPT, rédige à leur place des textes ou résume des documents. « MatchFT », développé avec Mistral IA, aide à présélectionner les candidats. Bientôt, un autre système enregistrera les entretiens entre conseiller et demandeur d’emploi afin d’en faire une synthèse automatique.
Officiellement, ces innovations doivent « libérer » du temps pour mieux accompagner les chômeurs. Officieusement, elles permettent surtout d’absorber les coupes budgétaires. Les syndicats, eux, ne sont pas dupes : « Moins de tâches répétitives pour l’ordinateur, mais plus de portefeuilles à gérer pour chaque conseiller », dénonce FO, qui redoute une intensification du travail et un suivi humain réduit au strict minimum.
Des chômeurs sous surveillance
Car derrière le vernis technologique, le rôle premier de France Travail reste inchangé : contrôler les demandeurs d’emploi. Dernière mission en date : traquer les « abus » des ruptures conventionnelles. Un test mené en Île-de-France a déjà conduit à des radiations et à des redressements de parcours. Même stratégie pour les travailleurs transfrontaliers, accusés de profiter indûment du système : là encore, contrôles renforcés et économies attendues à la clé.
Pour son directeur général Thibaut Guilluy, l’objectif est clair : montrer au gouvernement que France Travail sait « redynamiser » les chômeurs tout en économisant plusieurs centaines de millions d’euros. Un discours parfaitement calibré pour plaire à François Bayrou, arbitre autoproclamé de la rigueur budgétaire.
Une logique comptable assumée
La logique est implacable : moins d’effectifs, plus de fichiers, et des allocataires sommés de se justifier. L’IA, loin de servir d’outil au service de l’homme, devient un moyen de transformer les conseillers en contrôleurs automatisés.
Mais une question demeure : que devient l’accompagnement réel, humain, des chômeurs, souvent en détresse ? L’obsession de l’« efficience » ne risque-t-elle pas de réduire France Travail à une immense machine bureaucratique, obsédée par les économies et la chasse aux « fraudeurs », au détriment de ceux qu’elle est censée aider ?