La guerre civile en occident : le diagnostic stratégique de David Betz

DR

Dans une étude publiée dans Military Strategy Magazine, David Betz, professeur au King’s College de Londres, approfondit une thèse qui, il y a encore quelques années, aurait semblé relever du catastrophisme : la principale menace qui pèse désormais sur la sécurité des pays occidentaux n’est plus extérieure, mais intérieure. Selon lui, la probabilité d’une guerre civile dans certaines démocraties européennes et nord-américaines n’est plus marginale, et il convient d’en anticiper les formes, les conséquences et les parades.

Un risque chiffré et une diffusion probable

S’appuyant sur la littérature académique consacrée aux guerres civiles, Betz estime qu’un pays présentant les signes avant-coureurs d’un conflit interne a, en moyenne, 4 % de risques par an d’y sombrer, soit environ 18,5 % sur cinq ans. Or, il recense au moins dix États européens réunissant ces conditions, ce qui, statistiquement, donnerait une probabilité proche de 87 % qu’au moins l’un d’entre eux bascule dans un tel conflit à l’horizon d’un quinquennat. Et, par effet domino, le risque de contagion à d’autres pays serait considérable.


Les États les plus exposés, selon lui, sont le Royaume-Uni et la France, où des « incidents précurseurs » ont déjà eu lieu : émeutes urbaines, violences intercommunautaires, attaques contre les infrastructures. Mais il inclut aussi l’ensemble de l’Europe de l’Ouest et les États-Unis dans son analyse.

Les caractéristiques du conflit à venir

Pour Betz, ces guerres civiles occidentales auraient plusieurs traits distinctifs :

  • Villes “férales” : les grandes métropoles, plus diverses ethniquement et culturellement que les campagnes, basculeraient progressivement dans une perte de contrôle étatique. Des zones entières échapperaient à la police, avec une montée des services de sécurité privés, de la corruption, et des « no-go zones ».
  • Fracture ville-campagne : les infrastructures vitales des villes (énergie, eau, transport) sont situées en zones rurales, vulnérables à des sabotages organisés par des groupes hostiles au pouvoir urbain.
  • Attaques contre le capital culturel : la destruction ou le pillage de monuments, œuvres d’art et archives – phénomène récurrent dans les guerres civiles – servirait d’outil stratégique pour fracturer définitivement la société et empêcher tout retour à la normale.
  • Déplacements massifs de population : orchestrés ou subis, ils permettraient aux belligérants de redessiner la carte démographique à leur avantage.
  • Vulnérabilité aux ingérences étrangères : l’instabilité interne ouvrirait la porte aux interventions, directes ou indirectes, de puissances extérieures.
  • Durée et intensité : les guerres civiles sont généralement plus longues et plus meurtrières que les conflits interétatiques. Même un scénario “bas” calqué sur l’Irlande du Nord produirait, à l’échelle britannique, plus de 23 000 morts par an.

Préparer l’inévitable plutôt que l’impossible

Betz ne prétend pas qu’une prévention totale soit possible. Il plaide pour une réorientation stratégique des armées et des gouvernements vers la limitation des dégâts. Cela inclut :

  • La protection du patrimoine culturel : recenser, sécuriser et, si nécessaire, déplacer les biens les plus précieux, comme cela fut fait en Grande-Bretagne durant la Seconde Guerre mondiale.
  • La création de “zones sûres” : territoires limités mais défendables, capables d’accueillir des populations déplacées et de maintenir un semblant de vie civile, dotés d’accès aériens et maritimes, d’énergie et d’eau.
  • La sécurisation des armes de destruction massive : s’assurer que tout matériau fissile, chimique ou biologique reste sous contrôle étatique pour éviter une prolifération incontrôlée ou une utilisation par des factions.
  • L’adaptation doctrinale : intégrer la guerre civile dans la planification stratégique, plutôt que de la considérer comme un scénario hors de propos.

Un parallèle avec la fin de l’URSS

Betz convoque l’exemple du général soviétique Boris Gromov, qui en 1989 quitta l’armée pour commander les troupes du ministère de l’Intérieur, convaincu que la menace principale venait de l’intérieur. Pour l’auteur, les armées occidentales devraient adopter aujourd’hui la même lucidité et reconfigurer leur mission prioritaire.

Un constat dérangeant mais argumenté

L’analyse repose sur un constat combinant données historiques, observations géopolitiques et tendances sociétales :

  • fragmentation culturelle et identitaire accrue,
  • affaiblissement de la légitimité politique,
  • vulnérabilité structurelle des infrastructures,
  • montée des tensions entre populations « de souche » et groupes issus de l’immigration.

Pour Betz, la “normalcy bias”, ce réflexe qui pousse à croire que rien de radical ne peut arriver, est la pire des erreurs. L’Occident n’est plus immunisé contre la guerre civile, et son refus d’envisager ce risque le rend plus vulnérable encore.

guest
18 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires


La lettre patriote