La République n’en finit plus de déléguer ce qu’elle n’assume plus. Avec son projet de loi présenté en septembre, François-Noël Buffet, ministre délégué à la Sécurité du quotidien, entend offrir aux polices municipales un arsenal de compétences quasi policières, dans un climat d’insécurité généralisée que l’État central peine à contenir.
Inspections de coffres, saisies d’objets dangereux, accès élargi aux fichiers, verbalisation du deal de rue… Ce que le ministre appelle une « boîte à outils » ressemble de plus en plus à une armurerie municipale, destinée à pallier le retrait de la police nationale dans de nombreuses zones.
Quand la République délègue sa souveraineté, ville par ville
Dans un pays qui compte plus de 28 000 policiers municipaux (et bientôt 11 000 de plus), la tentation est grande de s’appuyer sur les maires pour contenir les effets de l’explosion des violences, du trafic de drogue, des émeutes ethniques. Les émeutes de 2023 ont d’ailleurs servi de révélateur : sans polices municipales présentes sur le terrain, les forces de l’ordre nationales se retrouvent rapidement débordées.
Ce projet de loi assume un tournant : donner à ces agents locaux des pouvoirs quasi-régaliens, jusqu’ici réservés aux forces nationales. Les polices municipales pourraient bientôt inspecter des véhicules, saisir des couteaux, dresser des amendes pour usage de stupéfiants ou squats d’immeuble. Des mesures de bon sens pour certains, un transfert déguisé de souveraineté pour d’autres.
Une France à deux vitesses… sécuritaires
Le risque est connu : créer des polices municipales à géométrie variable. Là où certaines communes riches et bien dotées pourront financer des brigades formées, armées, connectées aux bases de données, d’autres — notamment rurales — resteront sous-défendues. L’égalité républicaine s’efface ainsi au profit d’un patchwork sécuritaire, dépendant du bon vouloir ou des moyens de chaque maire.
Dans les grandes villes du Sud, déjà confrontées au narco-banditisme, ce renforcement peut sembler vital. Mais n’est-ce pas entériner l’échec de l’État à garantir la sécurité sur tout le territoire ?
Des policiers municipaux armés, formés… et bientôt enquêteurs ?
Selon Buffet, 80 % des policiers municipaux sont désormais armés. « C’est pour leur sécurité », dit-il. Soit. Mais à force de leur donner plus de prérogatives, ne risque-t-on pas de leur confier aussi des fonctions d’enquête ?
Derrière les mots rassurants — complémentarité, encadrement, maintien du lien social — se dessine une réalité brutale : l’État se retire, les communes montent au front.
La tentation d’une République fédérale sécuritaire
Ce texte de loi est aussi un tournant politique majeur, à quelques mois des élections municipales. Buffet le sait : la sécurité, désormais, se gagne plus dans les conseils municipaux que dans les ministères. Dans ce modèle, chaque maire devient un petit préfet, chaque ville une enclave de souveraineté policière. C’est la fin de l’unité régalienne, le triomphe d’un État à la carte.
Séduisant pour les électeurs ? Peut-être. Efficace à court terme ? Sans doute. Mais à long terme, cette réforme dit surtout une chose : la République, vaincue sur certains territoires, commence à sous-traiter sa propre autorité. Et cela n’a jamais fait une nation forte.