Par un miracle bien français, la générosité ne connaît ni crise ni limites – du moment qu’elle ne s’adresse pas aux Français. Tandis que les campagnes s’enlisent dans la pénurie de transports publics, que les lycéens d’outre-mer attendent des cars scolaires surchauffés et hors d’âge, que les lignes de bus ferment dans nos départements ruraux, l’Île-de-France et la RATP ont trouvé une idée lumineuse : offrir 165 bus à la Tunisie.
Oui, vous avez bien lu : offrir. Pas vendre, pas prêter. Donner. Cadeau. Gratuit. C’est Nicolas qui paie.
Et le plus beau ? Ces bus, utilisés pendant les Jeux olympiques et paralympiques, sont « écologiques » et « accessibles aux personnes à mobilité réduite ». Autant dire qu’ils auraient pu rendre bien des services à ceux qu’on appelle encore, dans un vieux réflexe suranné, « nos concitoyens ». Mais non. Ces véhicules de qualité, désossés de leurs fauteuils, ont embarqué pour Tunis, sous les applaudissements de la diplomatie française, ravie de son « geste fort » pour la coopération internationale. La coopération, toujours elle. Pendant ce temps-là, la Creuse attend toujours.
Car pendant que la France distribue ses restes aux quatre coins de la planète, c’est ici que l’État se délite. Il suffit de prendre un bus en zone périurbaine pour s’en rendre compte : fréquences réduites, arrêts supprimés, véhicules vétustes… mais chut. L’important, c’est de sauver la face internationale d’un pays qui se prend encore pour une puissance mondiale.
On nous explique que ces bus étaient trop vieux pour être remis en circulation. Curieusement, ils sont assez fiables pour rouler sur les routes tunisiennes. Et l’on nous rassure : l’acheminement a été payé par la Tunisie. On respire : ils ont payé l’envoi de leur cadeau.
Mais au fond, ce n’est pas le montant qui choque, c’est l’esprit. Cette manie française de se donner bonne conscience en exhibant sa vertu diplomatique, pendant qu’elle oublie les plus élémentaires devoirs envers ses propres enfants. Les mêmes élus qui pleurent les déserts médicaux et les territoires oubliés s’empressent de se féliciter sur les réseaux d’un don de bus à un pays étranger. Car, voyez-vous, cela « s’inscrit dans une démarche de coopération durable ». On salue la communication.
Pendant ce temps, la Chine vend ses bus à la Tunisie. Elle ne les donne pas. Elle ne s’excuse pas d’être une puissance. Elle commerce. Elle fait tourner son industrie. Elle protège ses intérêts. La France, elle, se dépouille et sourit.
Le pire dans cette affaire ? Ce n’est pas le bus. C’est l’humiliation ordinaire des Français qui regardent partir ce qu’ils n’auront jamais. Ceux qui, chaque matin, mettent une heure pour rejoindre leur lieu de travail, entassés dans des rames bondées ou laissés sur le bas-côté. Ceux qui, dans les DOM, dans les villages oubliés, dans les zones rurales, paieraient cher pour un service que l’on offre ailleurs.
Mais qu’ils se rassurent : l’ambassade de France en Tunisie est fière.