La justice de France a toujours été un enjeu de pouvoir : très tôt concentré, le pouvoir politique a compris tout l’avantage de la contrôler. Les procès politiques truqués ont donc été nombreux au cours de l’Histoire.

Plus récemment, la politisation est devenue intestine, idéologique, un petit nombre de magistrats agissant, désormais, non seulement aux ordres du pouvoir, mais aussi par connivence idéologique ou philosophique ; parfois par affairisme. Et il y a aussi de plus en plus de décisions bâclées. Mais il est vrai que la dramatique privation de moyens de l’institution judiciaire, depuis des décennies, et la  »culture du rendement » qui en découle, a abouti à la situation présente.

Le résultat est que les Français très majoritairement n’ont plus confiance dans leur justice. Un sondage IFOP (oct. 2019) sur ce point donne des résultats calamiteux : à peine plus de la moitié des Français font confiance à la justice, les deux tiers estiment qu’elle fonctionne mal et seulement la moitié estime que les juges ont « une conduite moralement irréprochable » et qu’ils sont « indépendants des intérêts économiques ». Et beaucoup de justiciables hors des critères de l’aide juridictionnelle ne peuvent pas supporter le coût de procédure : une justice coûteuse cela veut dire que des citoyens sont privés de l’état de droit alors que la justice est supposée être gratuite.

Tout cela est très grave.

De surcroît, les relations entre certains juges et les avocats n’ont cessé de se dégrader jusqu’à devenir souvent exécrables. Les avocats sont de plus en plus tenus comme quantité négligeable alors que la Justice est Une et que sans la fonction-défense (assurée par les avocats) il n’est pas de justice.

Parmi les nombreuses révolutions radicales auxquelles le nouveau ministre de la justice devrait réfléchir, nous lui suggérons celles-ci : la suppressions de l’École de la magistrature et, simultanément, celle des écoles d’avocats. Car s’il  »n’est de richesse que d’hommes » il n’est aussi de failles que dans les hommes. Une mauvaise justice affaiblit la confiance des citoyens, et provoque des conséquences économiques, sociologiques, psychologiques, familiales, désastreuses.

Quant à la place que le budget français consacre à la justice, la Commission européenne (avril 2019) relève qu’il est moitié moindre (avec 72 € par habitant) qu’en Allemagne (146 €) et loin du Royaume Uni (155 €). Comme par hasard ce sont l’une, un modèle économique, l’autre un modèle démocratique… Mais ce n’est pas un hasard car les politiciens français sont, depuis fort longtemps, soit ignorants ou dédaigneux de la chose juridique, soit tentés par la domination de la justice. Parfois les deux. Or l’idée de justice et de respect de la loi sont, en soi, le moyen de la sanction des tricheurs en économie et des tricheurs vis à vis de l’état de droit démocratique.

Quelques principes de fer devraient permettre sinon d’éviter du moins de réduire grandement les faiblesses de la justice française venant de l’élément humain. Notamment par une osmose totale des professions de justice : défendre et juger sont les deux faces d’une même mission judiciaire.

Aussi le premier acte fort parce que irréversible et démocratique que devrait poser ce nouveau ministre serait de réunir des États généraux de la justice associant des représentants des deux corps judiciaires, élus à cette fin, réunions locales puis nationales, afin de faire remonter des observations et propositions sur les 15 idées (ou plus) des réformes drastiques suivantes.

Sur la formation des professions judiciaires

1 – Suppression de l’école de la magistrature et des EFA. Il suffira d’un examen unique d’aptitude de très haut niveau intellectuel et moral (en fin d’études), commun aux professions judiciaires.

2 – Impossibilité d’exercer aucune de ces missions judiciaires sans avoir suivi des études complètes de droit (contrairement à diverses dispenses et passerelles en vigueur), études dont le niveau sera relevé et dont les programmes seront recentrés sur le raisonnement, la morale et la mission citoyenne, et moins sur le bachotage de connaissances éphémères.

3 – Après l’examen d’aptitude les diplômés accompliront un Service national obligatoire et rémunéré au Smic dans un tribunal pendant au moins trois ans auprès de magistrats, eux mêmes anciens avocats. Ainsi, les Tribunaux disposeront des moyens humains qui leur font tant défaut et les jeunes diplômés apprendront sur le terrain la difficulté et la noblesse de l’acte de juger.

4 – Puis les juristes judiciaires devront travailler au moins 20 ans comme avocats plaidants avant de pouvoir postuler à un poste de magistrat. Ainsi, tout avocat ayant travaillé pour un juge et tout juge ayant été avocat, le mur d’incompréhension, d’irrespect, voire d’hostilité tombera, et la recherche du Juste deviendra sereine, intense et rigoureuse, non parasitée par des tensions et incompréhensions. Les jeunes juristes judiciaires seront formés par des juristes ayant connu les deux visages du métier. Et ceux qui seront un jour juges connaîtront le visage humain du métier judiciaire et ses difficultés concrètes.

Sur l’intégrité et la qualité de la justice

5 – Le Parquet sera totalement indépendant, et éventuellement élu parmi d’anciens avocats ou juges. Il n’aura pas ses bureaux dans les locaux de la juridiction et siégera, dans la salle, au même niveau et à égalité de ses contradicteurs et non plus en haut de l’estrade judiciaire à côté du juge. Le gouvernement ne devra pas entrer en contact avec lui sauf à commettre une ingérence condamnable pénalement. On peut même imaginer la suppression du ministère de la  justice, qui est une contradiction dans les termes.

6 – Au début de chaque audience et à l’évocation de chaque affaire, chaque magistrat fera une déclaration d’impartialité, d’absence de conflit personnel ou d’intérêt, religieux, politique, économique, philosophique. Cette déclaration sera notée au PV d’audience signé par les juges.

7 – Le serment des magistrats sera profondément modifié pour faire sens, et le parjure entraînera la révocation sans droits.

8 – On supprimera le tabou de l’irresponsabilité des juges. Ils devront s’assurer personnellement au cas où ils seraient tenus pour responsables de fautes dans l’exercice de leur mission (avec bonus et malus).

9 – Leur rémunération sera fortement réévaluée et ils disposeront d’assistants en nombre suffisant (les jeunes juristes judiciaires). La grille des salaires sera écrasée afin que la promotion ne soit pas un enjeu aussi grand qu’il l’est à présent

10 – Le tribunal de commerce sera présidé par un magistrat de métier et il deviendra à terme une chambre échevinale du Tribunal unifié.

11 – Il sera mis en place dans, les Tribunaux et les Cours, des Cercles de qualité compétents sur le fonctionnement de la justice, formés d’élus des professions judiciaires et juridiques, en vue de mettre un terme aux non-dits et aux dysfonctionnements avérés, exposés à huis clos, et ainsi réglés.  

Sur les avocats

12 – Les avocats se verront reconnaître le droit de chercher des preuves par eux mêmes.

13 – Le montant de l’article 700 CPC (qui est supposé rembourser la partie qui gagne de ses frais d’avocat) sera rapproché de la réalité. Le juge sera tenu de prendre en compte la situation économique de la partie condamnée et de motiver sa décision. Car certains justiciables fortunés essaient d’épuiser leur adversaire en frais de justice et il est injuste pour la partie qui triomphe et son avocat d’avoir à supporter de telles manœuvres et d’insuffisantes compensations.

14 – Afin d’alléger les coûts d’accès à la justice et de simplifier le travail des avocats qui n’a cessé d’être alourdi par des transferts de mission de l’administration à ces professionnels :

– la TVA sera supprimée pour les clients qui ne la récupèrent pas,

– les frais d’appel seront supprimés

– les procédures informatisées (RPVA) seront fortement simplifiées et unifiées (TA,TGI, CA)

15 – Il sera établi une carte judiciaire indicative de la situation des barreaux (numerus optimus) afin que – eu égard au nombre d’affaires et au nombre d’avocats – les nouveaux avocats disposent d’informations suffisantes pour choisir le barreau où s’installer.

Enfin une réflexion sur l’Unification des juridictions pourra être entreprise.

Si la Justice devient insoupçonnable, rapide, de haut niveau juridique et moral, elle sera respectée. Les justiciables redeviendront des citoyens confiants et motivés.

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