Antonin Burat / Le Pictorium
Antonin Burat / Le Pictorium

Nous venons de vivre des moments de vives tensions avant que ne tombent à l’Assemblée nationale le couperet du 49-3, puis la décision du Conseil constitutionnel qui devait mettre fin aux turbulences et violences des manifestations engendrées par le projet de loi sur les retraites, un texte mal rédigé, défendu, et débattu au pas de charge par des ministres dépassés, malmenés et même insultés.

L’Assemblée a toujours été un lieu de joutes et d’invectives, parfois même d’empoignades : les huissiers s’interposent, suspension de séance puis le calme revient, les adversaires d’un instant se réconcilient à la buvette.

Ciceron relevait avec réalisme « Les Sénateurs sont des hommes sages, le Sénat est une sale bête ! »

Donc, rien de nouveau sous le soleil, les assemblées parlementaires sont de nature éruptive. Toutefois, si jadis la réconciliation se scellait à la buvette, les nouveaux députés répugneraient à trinquer et s’adonneraient à cette boisson innommable, inventée par les anglo-saxons qui ruine l’estomac et donne mauvais caractère… alors que « In vino veritas » !

Au-delà des tribulations parlementaires, des manifestations, des vitrines brisées et surtout des multiples blessés, parmi les manifestants et les forces de l’ordre, la France est percluse de ruptures ; nos concitoyens rejettent les politiques, les journalistes, ils ne décolèrent pas, fulminant contre tout.

Désabusés, les Français se replient sur eux-mêmes, s’enferment dans une vision égocentrique de la société, reniant tout destin collectif. La France devient un « archipel » de velléités individuelles, souvent antagonistes, comme l’a analysé justement Jérôme Fouquet.

En parallèle, de multiples forces centrifuges alimentées par des courants idéologiques et politiques, dont le prosélytisme salafiste, remettent en cause l’unité nationale et aggravent le désarroi, ruinant la cohésion nationale.

Pour accélérer le désarroi, oubliant le solennel avertissement de Montesquieu « Ne toucher aux lois que d’une main tremblante » , le Président de la République charge un Comité national d’éthique – non élu, mais choisi – de donner un avis sur un accès à une aide active à mourir ; en d’autres termes il s’agit de légaliser l’euthanasie.

Le débat est vif, provoque une forte réprobation des soignants, du corps médical en particulier qui considère que légaliser l’euthanasie n’est pas une simple loi, mais une remise en cause civilisationnelle, en dépit d’exemples étrangers, en Suisse ou en Belgique, qui ont adopté une disposition législative en ce sens.

Face à ces ruptures qui engendre un délabrement sociétal, le père de la nation enfermé dans son Olympe n’a cure des récriminations et des clameurs des Français.

Psychorigide, il se drape dans sa dignité de monarque, pensant être hors d’atteinte, rabâchant ses slogans et certitudes, sourd et aveugle à la décadence du pays. Il préfère fuir en Chine ou tenir un discours d’eurobéat en « globish » chez les Bataves – la langue française est, à l’évidence, une langue morte pour celui qui assénait qu’il n’y a pas de culture française…

Une telle posture rappelle quelques souvenirs : Rome brûle, Néron chante ; plus près de nous, comment ne pas méditer Hermann Hesse :

« L’homme puissant périt par la puissance, le cupide par l’argent, l’humble par la servitude, le jouisseur par la volupté».

C’est au choix…

Sur la scène internationale, Rudyard Kipling ( 1865-1936 ) écrit en 1896 ces vers prémonitoires dans « Hymn before action »

« La terre est pleine de colère,
Les mers sont noires de courroux,
Les nations harnachées
Se dressent sur notre chemin ;
Avant de lâcher les légions,
Avant de tirer l’épée »

L’histoire va-t-elle repasser ses plats préférés ?
L’histoire avance-t-elle masquée, faisant fi de la volonté des hommes et des Nations, aveuglées, enivrées d’hubris et de vaines gloires ?

Ayons également à l’esprit que si tu veux la paix, prépare la guerre.

Depuis des lustres, la planète nourrit une multitude de conflits, des guerres froides, des guerres chaudes, des guerres préemptives ou par proxy.

Aujourd’hui les dieux de la guerre sont au travail et s’activent avec zèle pour reprendre leur divine mission : en Ukraine, en Palestine, en mer de Chine, entre le Pakistan et l’Inde, au Maghreb, en Afrique ; ils attisent avec gourmandise les tensions internes de nombreux pays fragilisés par des rivalités idéologiques et extrémismes religieux.

Ah que la guerre est fraiche et joyeuse, la fleur au fusil, qu’il est doux de suivre avec servilité le mécanisme implacable des alliances, le monde somnambule court à son destin tragique…

« Des guerres plus que civiles, l’apparence du droit donnée au crime lui-même, le crime se revêtant du droit, toutes les forces mélangées du monde s’affrontent dans un commun désastre. » Lucain, La Pharsale.

Sommes-nous capables de maitriser les engrenages des alliances justement dénoncés par Henri Guaino ?

Après un coup d’État en Amérique latine, notre ambassadeur sur place télégraphia au Département – Département est le nom du Ministère des Affaires, du temps où il y avait une politique étrangère de la France indépendante et non vassale comme aujourd’hui – , et son message diplomatique était le suivant :

« La situation évolue rapidement, dans une direction, que je ne connais pas » !

J’ai le profond sentiment que cette citation d’humilité sied parfaitement à notre village planétaire d’aujourd’hui.

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